Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Acrimed
« "Que fait la Justice ?" La construction d’un discours médiatique »
Journée de la critique des médias
Article mis en ligne le 14 mars 2015
dernière modification le 9 mars 2015

Lors de la première journée de la critique des médias, tenue le 31 janvier 2015, une table ronde - « Des informations aux yeux bandés ? L’information c’est notre affaire ! » - réunissait les représentantes d’Attac (Aurélie Trouvé), de Bastamag (Agnès Rousseaux), de Solidaires (Nathalie Bonnet de Sud Rail) et du Syndicat de la magistrature (Laurence Blisson). Nous publions ci-dessous la contribution de Laurence Blisson, Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, rédigée à partir de l’intervention orale (Acrimed).

(...) Que ne fait pas la Justice ?
L’invisibilité médiatique est sans nul doute le propre de la justice civile et sociale [1]. Cette justice quotidienne, sans fard ni ténor, est aussi - à bien des égards quoi que non exclusivement - la justice des précaires. Un cénacle où se révèlent la misère, les inégalités, l’injustice sociale, terrain de combats collectifs parfois, mais bien souvent de défenses isolées voire absentes d’hommes et de femmes sur lesquelles l’information jette un voile pudique.
Représenter cette justice civile et sociale, ce serait mettre à jour ce qui nourrit, ou pourrait nourrir, les luttes : les visages de l’injustice sociale et de la précarité, et les effets de la loi, moins souvent expression d’une volonté générale abstraite qu’outil concret de reproduction d’un ordre social inégalitaire.
Il en est ainsi des expulsions locatives. Du tribunal où s’étalent la misère, les impayés, le cercle vicieux de la précarité au moment - pourtant très visuel et empli d’émotions - où l’huissier, accompagné par la force publique frappe à la porte pour expulser, ces procédures sont quasiment absentes du terrain médiatique. (...)

Et lorsque l’expulsion surgit, comme par effraction, sur la scène médiatique, c’est qu’elle est sortie de sa quotidienneté banale pour rencontrer l’insécurité, fétiche médiatique. Que n’a-t-on pas lu et entendu sur ces expulsions locatives prononcées au motif du trouble causé dans l’immeuble par des membres d’un foyer, suspectés ou condamnés pour des faits de trafic de stupéfiants. Où l’on retrouve la narration classique et hégémonique d’une Justice qui se confond avec la sécurité.
Car la délinquance, elle, n’est jamais trop quotidienne… (...)

Que fait la Justice ? Elle « sécurise ».
S’il est un objet médiatique qui a su se rendre permanent tout en se présentant sous les traits d’un perpétuel renouveau, c’est bien l’insécurité. Victime d’amnésie répétée, le discours médiatique dominant relance, avec une régularité sans faille, les mêmes propos déclinistes sur la délinquance. (...)

La construction médiatique de l’insécurité a ses entrepreneurs, ceux qui sondent et ceux qui sécurisent. Des sondeurs qui surveillent, comme le lait sur le feu, le « sentiment d’insécurité » - pourtant stable depuis plus de quarante ans - qui n’existe médiatiquement que par eux et dont il faudrait croire qu’il ne cesse de croître [3]. Et, appuyés par des syndicats policiers aux relais nombreux, des « marchands de peur » [4], Alain Bauer et Xavier Raufer en tête, qui s’affairent sur les plateaux et dans les colonnes des quotidiens à modeler les réalités qu’ils se proposent d’analyser… et de « traiter » en vendant leurs conseils et leurs outils sécuritaires.
Cette construction n’ignore pas les cycles politiques qu’elle accompagne (...)

Pourtant hautement préjudiciables au corps social si l’on examine leur coût social, les infractions économico-financières (fraudes fiscales, abus de biens sociaux, corruptions…) ne bénéficient pas d’une couverture médiatique à la mesure de leurs enjeux. (...)

l’invocation médiatique quasi omniprésente du laxisme, le plus souvent adressée aux responsables politiques, est productive : elle permet de polariser fictivement le débat. Ignorant largement l’influence des doctrines sécuritaires sur le discours et les actes de la gauche de gouvernement, elle entretient l’illusion d’un clivage entre sévérité et indulgence. De fait, elle empêche d’analyser le glissement idéologique opéré par cette gauche [9] et nuit tout autant à la réflexion sur le sens et les objectifs de la justice pénale, qui ne saurait se limiter à la recherche d’efficacité et au souci de prévention de la récidive.
Mais cette matrice du discours médiatique ne fonctionne que parce que les prétendus laxistes acceptent d’en disserter. Et plutôt que de rappeler que le débat ne se pose pas en ces termes là, en viennent à chercher à être plus royalistes que le roi, en vantant leur propre fermeté ou même en accusant à revers la droite de laxisme. (...)