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Que gagnent les journalistes ? Entre précarisation et salaires faramineux
Article mis en ligne le 23 juillet 2020
dernière modification le 22 juillet 2020

Lors des mobilisations des gilets jaunes, les journalistes n’ont pas manqué de s’interroger sur la « défiance » exprimée par les manifestants à l’égard des médias. Pour certains, leur profession serait victime d’un mythe, selon lequel les journalistes seraient membres d’une élite parisienne, fortunée, proche du pouvoir. En particulier, la question du salaire des journalistes a pris une dimension importante : dans quelle mesure son montant révèle-t-il une éventuelle déconnexion à l’égard du reste de la population ? Dans cet article, nous proposons un ensemble de chiffres qui livrent, en réalité, une situation très contrastée. Il n’en reste pas moins qu’au sein de la profession, les éditocrates et autres présentateurs stars – qui font l’agenda médiatique – affichent des rémunérations très supérieures à celles de la grande majorité de la population française – et en particulier des autres journalistes.

comme le rappelle l’article de L’Express, les titulaires d’une carte de presse ne disposent pas tous de revenus comparables à ceux de Natacha Polony, qui touchait 27 400 euros mensuels (l’article ne précise pas s’il s’agit du montant net ou brut) pour sa revue de presse sur Europe 1 jusqu’en 2017, ou de Maïtena Biraben (55 944 euros brut par mois comme présentatrice du « Grand journal », avant son licenciement en 2016).

Selon les chiffres de l’Observatoire des métiers de la presse, le salaire médian des journalistes en CDI est, en 2017, de 3 591 euros brut par mois (plus de 2 700€ net), celui des pigistes et des CDD de 2 000 euros environ (soit plus de 1 500€ net). À cela s’ajoute un abattement fiscal de 7 650 euros sur leurs revenus imposables. Pour rappel, selon l’INSEE le salaire médian mensuel net s’élevait à 1 789€ en 2016 en France dans le secteur privé (soit un peu plus de 2 300€ brut).

Challenges reprend quant à lui les chiffres de 2011, avancés par Éric Marquis (membre de la Commission de la carte de 1994 à 2018), pour étudier la répartition des salaires des détenteurs de la carte de presse embauchés en CDI. Nous les avons représentés sous forme de graphique (...)

Enfin Le Parisien apporte également d’autres éléments, en évoquant la grille de salaires établie par le Syndicat national des journalistes (SNJ) [2]. En 2017, dans la presse quotidienne nationale, les salaires varient entre 2 162 euros brut à la sortie d’une école de journaliste (près de 1 600€ net) à 5 430 pour un rédacteur en chef (près de 4 200€ net). Pour la presse quotidienne régionale, les salaires sont légèrement inférieurs, de 1 833 à 5 138 euros brut.

Dans Challenges, le sociologue Jean-Marie Charon, note « un phénomène de précarisation de la profession, mais qui n’est pas très nouveau », avec notamment le nombre croissant de pigistes dans les statistiques de la commission de la carte. Pigistes qui sont confrontés à des difficultés croissantes (comme le rappelait Arrêt sur images) et rémunérés à des tarifs bas et qui n’ont pas été revalorisés depuis parfois quinze ou vingt ans (comme le souligne le dernier rapport de la Scam). Et qui sont fortement pénalisés par la réforme de l’assurance-chômage en application depuis novembre 2019.

Le rapport de la Scam revient par ailleurs de manière détaillée sur le « grand écart » des rémunérations parmi les journalistes. (...)

Des « journalistes stars » aux salaires faramineux

Ces considérations importantes sur les fortes inégalités qui traversent le milieu – et la précarisation qui touche la profession – ne remettent nullement en question le fond du problème posé par Ludivine Bantigny. Car si la plupart des journalistes sont loin de rouler sur l’or, ce sont les rédacteurs en chef et autres animateurs ou journalistes stars – aux salaires parfois faramineux – qui sont en position de fixer les orientations éditoriales. Et dont la déconnexion avec la réalité de la plupart des salariés (y compris des « simples journalistes ») pose question. Outre les cas de Maïtena Biraben et de Natacha Polony, les exemples ne manquent pas.

Ainsi Mediapart évoque-t-il, dans une enquête publiée en avril 2019, les contradictions de la politique salariale d’Europe 1 : d’un côté, des réductions budgétaires pour les salariés et pigistes ; et de l’autre, des contrats aux montants mirobolants pour ses animateurs (avec des salaires moyens de 15 513 euros en 2015) et les « têtes d’affiche » telles que Nicolas Canteloup (qui bénéficie d’un contrat prévoyant une enveloppe « d’un montant mensuel forfaitaire et définitif de 150 755 euros HT » [3]) (...)

Le Dauphiné libéré a également publié une enquête en avril 2018 sur les salaires des journalistes. Le quotidien régional évoque notamment des ordres de grandeur pour les salaires des présentateurs de TF1 (Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray et Jean-Pierre Pernaut), estimés entre 30 000 et 45 000 euros par mois [4] ; de Ruth Elkrief sur BFM-TV (10 000 euros par mois) ainsi que pour le service public : 15 000 euros net par mois pour Laurent Delahousse (France 2) et 6 000 euros net par mois pour les présentatrices et présentateurs de France 3. Les matinales radio ne sont pas en reste : le prédécesseur de Patrick Cohen au 7-9 d’Europe 1, Thomas Sotto, touchait un salaire de 37 938 euros net par mois selon le Canard enchaîné. Des ordres de grandeur qui demeurent inférieurs au salaire de Claire Chazal, présentatrice de TF1 sur le départ, révélé par Challenges en 2015 : près de 120 000 euros brut par mois. (...)

Selon les données 2016 de l’Observatoire des inégalités, la moyenne de ces salaires correspond aux 10% des salariés les mieux payés en France. Le pourcentage des salariés français touchant un salaire mensuel net au moins aussi élevé que les moyennes indiquées varie de 9% (pour ce qui est du montant le plus « faible », celui de NextRadioTV) à 6% (pour ce qui est de TF1). (...)

Un autre cas de figure intéressant à étudier est celui des éditocrates multicartes qui multiplient les sources de revenus en se déployant sur différents médias : presse, radio, télévision. Les cas sont nombreux (...)

Là encore, au sein même de cet échantillon du petit groupe privilégié des éditocrates multicartes, les écarts de revenus cumulés sont importants puisqu’ils varient de 100 000 euros brut annuel à près d’un million d’euros [5]. Tous figurent (au moins) dans les 2% des salariés français les mieux rémunérés. (...)

Que gagnent les journalistes ? Le rapide panorama que nous avons tenté de dresser fait état d’une situation très inégale au sein de la profession. Non, tous les journalistes ne roulent pas sur l’or – et certains s’emploient à faire un travail exigeant dans des conditions de précarité accrue, en particulier parmi les pigistes de plus en plus nombreux. Les journalistes en CDI bénéficient en majorité de bons salaires (avec un salaire médian de 2 700€ net par mois en 2017). Enfin, une minorité de journalistes, présentateurs stars ou éditocrates multicartes – souvent dans des positions décisionnaires dans les rédactions – bénéficient quant à eux de salaires considérables. Et Ludivine Bantigny n’a sans doute pas tort de pointer que cela les place, à tout le moins s’agissant des conditions matérielles d’existence, bien plus près du grand patronat que des gilets jaunes…