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Qui est Achille Mbembe, l’architecte du sommet Afrique-France de Montpellier ?
Article mis en ligne le 8 octobre 2021

Théoricien du post-colonialisme, Achille Mbembe, l’un des intellectuels les plus en vue d’Afrique francophone, a accepté la tâche controversée de préparer le sommet Afrique-France, qui se tiendra vendredi et auquel pour la première fois aucun chef d’État africain n’a été convié.

Rarement un homme aura autant marqué de son empreinte ce type d’événement. Non seulement Achille Mbembe a remis un rapport mardi à Emmanuel Macron "pour la refondation des relations entre la France et le continent", mais il a aussi sélectionné les 12 jeunes qui débattront, vendredi 8 octobre, avec le chef de l’État.

Pendant sept mois, l’intellectuel camerounais a pris son bâton de pèlerin à travers 12 pays et lancé plus de 60 "dialogues" entre mars et juillet derniers avec des acteurs de la société civile pour préparer le sommet Afrique-France de Montpellier.

"J’ai trouvé que c’était un projet nécessaire, raisonnable, que la mission était une mission de bon sens, que l’Afrique devrait pouvoir y trouver son intérêt, ce qui me semble être le cas", explique Achille Mbembe dans une interview accordée RFI.

Contempteur de la "Françafrique", réputé pour ses prises de position énergiques, l’auteur mondialement connu de "Brutalisme" et de "Critique de la raison nègre" a passé les trente ans d’une brillante carrière universitaire à cheval entre l’Afrique du Sud et les États-Unis. (...)

Personnalité transgressive au charisme magnétique, l’historien franco-camerounais est présenté comme l’un des pères des études postcoloniales. Admirateur d’Édouard Glissant et de Frantz Fanon, Achille Mbembe s’est également attaqué au cours de sa carrière à la critique du néolibéralisme et aux mécanismes de domination dans le monde contemporain.

"Le choix d’Achille Mbembe pour ce sommet est tout à fait juste. C’est l’un, si ce n’est le plus grand penseur contemporain de l’Afrique", affirme le Canadien d’origine guinéenne Amadou Sadjo Barry, docteur en philosophie et chercheur en relations internationales, joint par France 24. "Il connaît l’Afrique et, en même temps, essaie de penser le devenir mondial du continent." (...)

En acceptant cette mission d’Emmanuel Macron, Achille Mbembe, qui dénonçait il y a peu une "flagrante absence d’imagination historique", du chef de l’État, ouvre, à 64 ans, une nouvelle page dans sa carrière. Mais ce tournant a également suscité l’incompréhension, voire l’hostilité d’un certain nombre d’intellectuels africains.

Dans une tribune au vitriol parue dans Jeune Afrique, l’écrivain camerounais Gaston Kelman fustige l’intellectuel "flatté dans son orgueil de ’savant’ qui maîtrise la science du maître". Quant au Sénégalais Boubacar Boris Diop, il ironise sur "une mauvaise plaisanterie" évoquant un sommet "choquant" et "pathétique".

"Prise de guerre"

Une partie de l’opinion publique africaine voit également dans le choix d’Achille Mbembe une manœuvre de l’Élysée pour redorer l’image de la France sur le continent et une "prise de guerre" pour Emmanuel Macron.

"La classe politique française comprend que les chefs d’État africains sont discrédités, mais qu’il y a encore des intellectuels qui sont écoutés et qu’à travers eux, on pourra s’adresser à la jeunesse africaine", analyse le docteur en histoire contemporaine et professeur de littérature à Philadelphie, Jean-Claude Djereke, joint par France 24. "Mais je crois que c’est une erreur. Beaucoup de gens ont été déçus par Achille Mbembe, qui donne ici l’impression de voler au secours de Macron."

Quatre ans après le discours de Ouagadougou qui devait poser les bases d’une nouvelle relation entre la France et l’Afrique, force est de constater une forme de désenchantement selon Jean-Claude Djereke. "Les problèmes de fond pour les jeunes Africains ne sont pas abordés : ces problèmes, ce sont les bases militaires françaises, c’est le franc CFA, l’immixtion intempestive de la France dans les affaires intérieures africaines."

L’intervention militaire française au Sahel pour lutter contre les jihadistes et le soutien à la junte militaire au Tchad sont les deux sujets qui ont récemment alimenté les crispations autour de la présence française en Afrique et les accusations de néocolonialisme. (...)