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Qui veut la peau des petites écoles et de leurs pédagogies innovantes ?
Article mis en ligne le 12 mars 2016

Rares mais indispensables, des écoles élémentaires à une, deux ou trois classes, mêlant des enfants de plusieurs niveaux et de tous âges, existent encore. Ces petites écoles constituent le dernier service public, le dernier lieu de vie et d’attractivité des villages où elles sont implantées. Elles affichent souvent de bons résultats scolaires. Là où les pédagogies y sont innovantes, les enfants apprennent solidarité et démocratie. Pourtant, l’Éducation nationale veut en réduire le nombre. Reportage.

En cercle autour d’Alessandro, l’intervenant « gospel », les enfants chantent et frappent leurs baguettes en rythme. Dans cette classe unique à Saint-Michel-de-Cours, près de Cahors (Lot), 18 enfants du CP au CM2 travaillent ensemble dans un esprit de coopération. Lorsque Alessandro demande aux élèves de se séparer en deux groupes pour chanter en canon, la maîtresse Marion Bonnard intervient aussitôt : « On ne laisse pas les petits tout seuls, les grands vont les soutenir ! » Coopération, entraide et autonomie sont les richesses de ces classes uniques.

Pour l’enseignant, cela nécessite une solide organisation mais aussi une grande confiance : « Je m’appuie sur les grands, assure Marion. Ils vont aider les plus petits, leur ré-expliquer ce qu’ils n’ont pas compris (ce qui permet d’ailleurs d’ancrer solidement les apprentissages)... Mais tous, petits et grands, ont des responsabilités adaptées à leur âge : corriger les devoirs, noter ce qu’il faut mettre dans le cartable, effacer le tableau... C’est une micro-société où chacun se sent utile, responsable et plus grand ! »
« Ils voient beaucoup mieux le chemin du savoir »

Un autre intérêt de la classe unique, c’est l’apprentissage de la différence et de la tolérance, hors de tout esprit de compétition : « Le grand ne se moque pas du petit car il était là il y a peu, et le petit comprend le chemin qui lui reste à parcourir. Ils voient beaucoup mieux le chemin du savoir. » Midi, les enfants montent à la cantine de l’étage, où Thérèse, la cantinière communale, a préparé un repas maison. Les enfants expriment leur enthousiasme : « J’adore cette école car on est tous amis, on fait plein d’ateliers avec notre maîtresse super-cool », dit Guillaume. « Tout le monde se connaît, on rigole ensemble », s’écrie Astrid.

Malgré ce bonheur d’apprendre et les très bons résultats de ces élèves une fois arrivés au collège, l’école devrait fermer en 2017. La maire de Saint-Michel-de-Cours, Martine Fournier, et les autres élus locaux ont donc un an pour décider à quelle sauce leur école sera mangée et dans quel regroupement pédagogique intercommunal (RPI) elle sera intégrée. « L’État force les maires à s’entretuer, ou à se suicider politiquement », commente Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). En effet, dans le protocole signé en janvier 2015 par l’académie de Toulouse et les grands élus locaux, il est précisé que le département du Lot est très (trop !) bien doté en postes d’enseignants. Obligation donc d’en supprimer 18 sur 3 ans, ce qui aboutirait à la fermeture de 10 classes uniques...(...)

Élus et parents d’élèves ne décolèrent pas. (...)

« La concentration des enfants, c’est le modèle de la ferme des Mille vaches ! Pourquoi ne pas éduquer local comme on consomme local ? La classe unique offre une véritable biodiversité » (...)

Mais comment lutter contre une pensée qui juge archaïques les petites structures ? « Il faut dépasser le combat pour sauver telle ou telle école, et replacer l’école au cœur de projets collectifs pour le territoire. C’est un combat d’avenir, une alternative à inventer. » Lui qui appartient au nouveau collectif « La petite école est une chance » [1] est pourtant pessimiste. Face au rouleau compresseur de l’Éducation nationale, de nombreux parents créent des écoles associatives utilisant des pédagogies alternatives... Une école à deux vitesses risque donc de se mettre en place. (...)

Dans le domaine scolaire comme ailleurs, les petites structures qui expérimentent des alternatives semblent gêner le pouvoir central et parfois même local. Au-delà de la question scolaire, des citoyens luttent et s’interrogent sur le modèle urbain valorisé à travers cette furieuse tendance au regroupement. Et sur le droit à vivre autrement, dans des territoires déjà affaiblis par la géographie et la raréfaction des services publics.