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Quitter Facebook, une bonne résolution, pas toujours facile à appliquer
Article mis en ligne le 31 décembre 2018

2018 fut une année catastrophique pour Facebook. Beaucoup d’internautes ont décidé de s’en éloigner, parfois sans succès.

Chez Facebook, 2018 restera un bien mauvais cru, l’année de tous les scandales. Tout a commencé avec les retombées de l’ingérence russe dans les élections présidentielles, puis vint la désinformation, le scandale Cambridge Analytica, les failles de sécurité et les liens avec une douteuse firme de relations publiques... Pour couronner le tout, selon un récent rapport, le réseau social aurait permis à certaines entreprises de contourner ses règles de sécurité habituelles.

Cette cavalcade de révélations gênantes a donné naissance au mouvement #DeleteFacebook (#SupprimezFacebook), qui a pris de l’ampleur sur Twitter et qui a été relayé par de nombreux médias. (...)

Mais la défiance envers Facebook a atteint de nouveaux sommets. Un sondage Axios rapporte que la part des opinions favorables envers Facebook a connu une baisse de 28% entre octobre 2017 et mars 2018. Plusieurs célébrités ont annoncé leur départ de la plateforme cette année, parmi lesquelles Will Ferrell, Cher et Elon Musk. Walt Mossberg, grand reporter spécialiste des nouvelles technologies, a lui aussi claqué la porte du réseau social très récemment. Mais qu’en est-il des internautes lambda ? (...)

Cette récente vague de suppressions et de désactivations est motivée par l’éthique, et non par des raisons personnelles –et c’est peut-être pour cela que les personnes qui partent résistent à l’envie de revenir. (...)

La plupart des personnes interrogées par Slate racontent qu’elles essayaient déjà de se désaccoutumer du site, ou qu’elles ne l’utilisaient pas beaucoup auparavant, ce qui leur a sans doute facilité la tâche –il est plus difficile d’arrêter du jour au lendemain.

Les internautes qui suppriment leur compte ont souvent peur de perdre le contact avec leurs amis, et même leur famille : après tout, l’une des missions autoproclamées de Facebook n’est-elle pas de « connecter le monde » ? (Par le plus grand des hasards, la poursuite de cet objectif va de pair avec la collecte de données et la publicité ciblée, deux secteurs particulièrement juteux).

Les personnes interrogées par Slate ont affirmé avoir plus de mal à rester en contact avec certains proches depuis la suppression de leur compte. (...)

Il convient de rappeler que de nombreuses personnes ne peuvent se permettre de fermer leur compte ou de réduire leur présence sur le site, malgré leurs potentiels griefs envers les responsables de Facebook. Les petits commerces et les groupes militants, entre autres, doivent maintenir une présence publique aussi large que possible ; ils n’ont donc aucune envie de supprimer leur compte, comme l’a expliqué April Glaser. (...)

Facebook est un outil souvent crucial pour les personnes défavorisées, qui ne disposent pas toujours des ressources permettant de rendre visite à leurs familles à l’étranger, par exemple, ou qui ne peuvent aller voir leurs amis faute de moyen de transport. Certaines personnes ne possèdent pas de téléphone ; elles se connectent à Facebook en bibliothèque, ce qui leur permet de trouver du travail et de contacter leurs proches. « Les personnes à faibles revenus ne sont pas invitées aux soirées d’entreprise ; elles ne peuvent pas se constituer de réseau par ce biais. »

En 2013, avec une équipe de recherche de l’Université Cornell, Baumer a envoyé un questionnaire à plus de 400 utilisateurs et utilisatrices Facebook. Il a constaté qu’il était souvent difficile de déterminer qui utilisait ou n’utilisait pas Facebook. « Les résultats montrent qu’il n’existe pas de distinction claire et binaire entre l’utilisation et l’absence d’utilisation de Facebook ; différentes pratiques donnent naissance à différentes –et différents degrés– d’engagement et de désengagement. »

Cette étude a été réalisée avant l’actuel mouvement anti-Facebook, mais la dynamique est la même. Facebook est le quatrième site le plus visité sur internet, il est donc difficile d’éviter tout contact. (...)

De nombreuses personnes affirment avoir désactivé leur compte avant de les supprimer totalement, ce qui aurait facilité la transition. Mais pour les personnes qui utilisent Facebook pour s’authentifier sur certains sites, même la désactivation pose problème. (...)

C’est peut-être parce qu’il est difficile de distinguer utilisation et absence d’utilisation qu’aucun exode massif des internautes de Facebook n’a été constaté. En annonçant ses résultats du troisième trimestre, l’entreprise a spécifié que le nombre de ses utilisateurs et utilisatrices était resté relativement stable –les investisseurs craignaient eux une baisse.

« Il serait plus juste de penser en termes de renégociations ou de réarrangements que de se demander si les gens suppriment leurs comptes Facebook, explique Baumer. Il n’y a probablement pas d’exode en vue, mais les choses sont probablement en train de changer de manière substantielle. » (...)

Lire aussi :Supprimer Facebook est un privilège

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Facebook a demandé notre confiance, et nous lui avons donnée –comme nous lui avons donné nos photos, nos pensées, nos « j’aime » et nos partages. Bien sûr, nous savions parfaitement que ces informations aideraient Facebook à nous « vendre » aux publicitaires.

Ce que la plupart d’entre nous ignoraient, en revanche, c’est que les développeurs d’applications ont longtemps eu accès à nos données (ils n’ont perdu ce droit qu’il y a quelques années), même si cette information était mentionnée dans les conditions d’utilisation.

De nombreux utilisateurs ne pensaient pas que ces concepteurs d’application enfreindraient ces conditions pour vendre nos données au plus offrant, y compris aux collaborateurs de certains partis politiques. On ne peut parler d’une défaillance de sécurité de la plateforme, comme l’a souligné Facebook, mais on peut parler d’abus de confiance. (...)

supprimer Facebook relève du privilège. Ce réseau social s’est spécialisé dans de nombreux domaines, si bien que pour d’innombrables personnes, l’abandonner tout à fait s’avérerait autodestructeur. Ces personnes méritent d’être mieux traitées. Ce scandale ne doit pas nous faire fuir. Nous devons exiger l’avènement d’un meilleur Facebook. (...)

supprimez Facebook, si vous pouvez vous le permettre. Cette firme ne mérite sans doute pas votre confiance et votre participation ; en la mettant de côté, vous aurez plus de temps libre à consacrer à de meilleures occupations. Mais si vous ne pouvez pas lui tourner le dos, vous n’avez pas à vous en vouloir.

C’est pour cette raison que #DeleteFacebook est un mauvais message : il sous-entend qu’il s’agit simplement d’un choix relevant du consommateur. En réalité, toute solution au problème sous-jacent devra venir de Facebook lui-même –modifier le service pour que ses utilisateurs se sentent en sécurité– ou du gouvernement –qui devra peut-être intervenir pour pointer du doigt le système commercial de Facebook dans son ensemble. (..)

Si vous avez décidé de supprimer Facebook, je suis donc de votre côté –mais seulement jusqu’à un certain point. Parce qu’en tant qu’utilisateurs et citoyens de Facebook, il est aussi de notre devoir de plaider pour une plateforme plus sûre, pour toutes les personnes qui ne peuvent se permettre d’en sortir.