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Racisme(s) médiatique(s), racisme dans les médias
Article mis en ligne le 24 mai 2016
dernière modification le 17 mai 2016

(...) Le lundi 4  avril 2016, le quotidien Libération publiait un dossier intitulé «   Ces visages contestés de l’antiracisme », consacré aux « nouveaux militants contre les discriminations », et qui a suscité des débats dans la mouvance antiraciste, l’éditorial de Laurent Joffrin (« Piège grossier ») faisant l’objet de la plupart des critiques. On pouvait en effet y lire, entre autres, ceci :

Le « nouvel antiracisme » que nous décrivons pose plusieurs questions. D’abord parce qu’il est délibérément communautaire. Les musulmans défendent les musulmans, les Noirs défendent les Noirs. Ainsi chacun s’occupe de sa paroisse, de son clocher, de son origine. Au nom d’une légitime autodéfense ? Certes. Encore faut-il le faire aussi au nom de valeurs communes, et non de simples réflexes communautaires. Encore faut-il éviter cette malsaine concurrence des victimes qui attise les tensions au lieu de les apaiser. 

Les reproches faits à Laurent Joffrin ont été de deux principaux ordres :
1. Accuser de «   communautarisme  » des militants antiracistes depuis une rédaction qui n’abrite en son sein quasiment aucun journaliste «  non-blanc ».
2. «   Donner des leçons » d’antiracisme depuis un journal qui a à plusieurs reprises été épinglé pour la publication d’articles ou de propos considérés comme racistes [1].

Nous ne nous attarderons pas ici sur le dossier de Libération, ni sur l’éditorial de Laurent Joffrin (qui ne reflète guère, au passage, le contenu mesuré du dossier), mais plutôt sur ces deux accusations récurrentes contre les «  grands médias  » : donner peu de place (dans les rédactions) et peu de visibilité (dans les productions) aux populations non-blanches ; relayer, diffuser, entretenir des préjugés racistes.

Qu’en est-il exactement ? C’est à ces interrogations, et à quelques autres, que nous entendons répondre dans ce dossier (...)

Précisons ici que tous les «  grands médias  » n’entretiennent pas le même rapport au racisme, et que l’on ne peut mettre sur un pied d’égalité des médias comme, d’un côté, Le Monde ou Libération et, de l’autre, Valeurs actuelles, Le Figaro ou Causeur. Il n’en demeure pas moins que les constats que nous dressons dans ce dossier n’épargnent aucun des grands médias qui, tous, à des degrés divers, participent de la diffusion et de la reproduction des clichés racistes et discriminatoires. (...)

C’est une évidence : les cas de racisme avéré au sein des médias dominants sont nombreux, et récurrents. Les «   Unes   » de certains hebdomadaires sont malheureusement là pour le rappeler, qu’il s’agisse du Point, de L’Express, de Marianne ou, hors concours, de Valeurs actuelles. (...)

Des propos racistes sont également régulièrement hébergés dans les «  grands médias  » — nous ne parlons pas ici des élucubrations de tel ou tel responsable politique, mais bien de déclarations ou écrits de certains journalistes, éditorialistes ou chroniqueurs. La liste serait bien longue, il suffira donc de rappeler les outrances à répétition (...)

Ces déclarations ne sont évidemment pas représentatives de l’ensemble des journalistes, ni du discours dominant des médias dans lesquels ces spécialistes de l’outrance s’expriment. Force est toutefois de constater qu’en les invitant régulièrement à des émissions de débats ou en leur offrant des chroniques régulières, ces mêmes médias contribuent à légitimer et à banaliser leur parole, et donc à normaliser les propos racistes. A fortiori lorsque les journalistes témoins de ce genre de propos ne réagissent pas, y compris lorsque ces derniers sont non seulement racistes mais ouvertement mensongers. (...)

Le racisme assumé et son accompagnement, conscient ou non, ne sont toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Une autre forme de racisme, beaucoup plus insidieuse, réside dans la façon dont sont traitées les populations étrangères ou «   d’origine étrangère   », comme le souligne Teun A. van Dijk dans un rapport remis à l’Unesco en 2001 (...)

Il en va de même, fréquemment, dans le traitement de l’information internationale, où sévit une tendance à traiter de manière différenciée les populations et sociétés non-blanches, en ayant recours à des clichés ou à des raccourcis qui confèrent à ces populations un caractère exotique, avec un ton souvent paternaliste, voire néocolonial (...)

Invisibilisées, infantilisées, mises en scène… les populations des pays «   du Sud   » servent trop souvent de faire-valoir aux gouvernements des pays «  occidentaux  » (lors des «  guerres éthiques  »), à l’action des coopérants ou des humanitaires (lors des «   catastrophes  »), voire même aux journalistes eux-mêmes [7]. Si nous n’en sommes plus à l’époque de Tintin apprenant à lire aux petits Congolais, les sujets, les angles choisis, les mots utilisés… font souvent écho à un imaginaire victimaire, colonial, voire raciste, qui interdit de concevoir «  l’Autre  » comme étant «  notre   » égal, un acteur à part entière, et pas seulement un objet de compassion ou de comparaison « civilisationnelle   » (...)

Les grands médias sont donc loin d’être émancipés des préjugés constitutifs des idéologies racistes ou colonialistes, véhiculés, consciemment ou non, dans nombre d’articles, enquêtes, reportages, ainsi que dans le vocabulaire utilisé, ou les angles choisis, pour évoquer les populations étrangères, immigrées ou descendantes d’immigrés. Mais ces effets de reproduction des clichés et préjugés n’expliquent pas tout. Ainsi que l’ont souligné certaines critiques de l’éditorial de Laurent Joffrin évoqué plus haut, la composition des rédactions elles-mêmes, ainsi que les routines professionnelles (choix des sources, relations aux institutions, lectorat visé) sont aussi en cause. (...)

on multiplie les articles privilégiant le sensationnalisme à peu de frais, phénomène qui participe d’une stigmatisation, voire d’une discrimination, à l’encontre des quartiers populaires et de leurs habitants, avec une part importante de sujets entretenant des confusions ou des amalgames entre immigration et délinquance, relégation et «   communautarisme   », islam et «  islamisme  », etc. Les exemples sont nombreux de ces articles et reportages stigmatisants, y compris dans les médias nationaux [12], avec en outre un poids particulier de la relation des journalistes avec leurs sources qui, pour des raisons là encore liées à une méconnaissance du terrain, sont très souvent les sources policières et judiciaires. Les clichés racistes, de même que les amalgames discriminatoires, sont donc bien souvent au carrefour de préjugés et de routines qui, si elles peuvent s’expliquer en partie par la composition des rédactions, sont également liées aux conditions de production de l’information. (...)