
Malgré les demandes des salariés et des résidents, la direction de Coallia n’a pas engagé de travaux de rénovation d’un bâtiment vétuste et dangereux. Alertée, la députée des Yvelines et actuelle ministre des Outre-Mer, Yaël Braun-Pivet, n’a pas réagi.
Coallia, le leader national du premier accueil des demandeurs d’asile en France, promet « un lieu d’ancrage sécurisant et bienveillant à des personnes fragilisées par un parcours migratoire éprouvant ». Ce n’est pas l’avis des résidents du centre d’accueil de Sartrouville (Yvelines). Dans une cuisine infestée par les cafards et les rats, Clarisse (1) lâche, les larmes aux yeux : « Ce n’est pas un foyer, c’est une prison. Et encore, la prison, c’est plus propre ». Contactés, deux anciens intervenants sociaux dénoncent « des locaux dans un état catastrophique » et, pour les personnes présentes, « des conditions de vie inhumaines ». La hiérarchie a été mise au courant à plusieurs reprises de « l’insalubrité » des bâtiments, selon des documents que nous avons pu consulter. Rejetant la faute sur les demandeurs d’asile eux-mêmes, selon elle responsables d’« incivilités », la direction reste sourde à ces alertes. (...)
La députée des Yvelines, candidate à sa réélection et ministre des Outre-Mer, Yaël Braun-Pivet, a été interpellée par email le 4 mai par un salarié, qui a fini par démissionner tant son travail était contraire à ses valeurs. La représentante d’Ensemble ! n’a pas répondu à cette alerte, ni à nos sollicitations. L’adjointe au maire de Sartrouville, Alexandra Dublanche, ex-candidate LR à la députation, a promis à ce salarié une visite de la municipalité et un signalement au préfet. Contactée, elle indique avoir transmis les informations qu’elle a reçues à des collègues davantage concernés par le sujet. Les nombreuses images et vidéos du lieu que nous avons pu rassembler dépeignent un hébergement présentant des risques immédiats, notamment pour les enfants, dont le plus jeune a seulement six mois.
« Les chiens vivent mieux que nous »
De l’extérieur, difficile de percevoir que ce CADA est décrit comme un « enfer » à vivre. (...)
Les « unités de vie » souffrent aussi d’équipements vétustes, voire inutilisables. Dans les bâtiments B et C, seuls trois toilettes fonctionnent pour 60 personnes, et sont souvent bouchés et encrassés. L’air y est difficilement respirable (...)
Des prises sont dénudées et à portée de projection d’eau. Les cuisines sont à l’avenant : la saleté a noirci les placards dont s’échappent régulièrement des nuisibles. Les enfants craignent la pièce à cause des souris. « Nos petits sont nés ici ! Ils représentent la France de demain ! Ils n’ont pas choisi de vivre ça. Les chiens vivent mieux que nous », se révolte une résidente. (...)
Injustice et souffrance au travail
Contrairement au foyer de travailleurs migrants, c’est aux demandeurs d’asile de nettoyer leur hébergement. Il n’y a pas de prestataire en charge du ménage. À tour de rôle, chaque chambrée s’occupe donc de nettoyer le palier un jour par semaine. Mais le niveau de crasse est tel qu’il est impossible de tout enlever. Dans un mail adressé à sa hiérarchie en novembre, un ancien salarié alerte : « la technique des responsables de ménage jour/chambre ne fonctionne plus ». « Ces lieux ne respectent pas les normes légales ni le cadre juridique de Coallia », conclut-il. Trois mois plus tard, la responsable technique de l’unité territoriale des Yvelines botte en touche. « Je ne comprends pas tout à fait la demande », estime-t-elle, avant de pointer du doigt le comportement présumé des demandeurs d’asile : « Nous sommes confrontés aux incivilités des résidents régulièrement et cela devient pénible. » Face à cette situation, elle propose quand même de « refaire entièrement les unités de vie » mais demande aussi aux travailleurs sociaux de serrer la vis : « Il est primordial de rappeler à vos résidents les règles de vie communes et de respect des lieux d’habitation ». Dans la cuisine, un placard rouillé contient le matériel fourni par Coallia pour laver les unités de vie : un produit pour le sol, du vinaigre blanc et un balai à moitié cassé.
La situation s’envenime d’autant plus rapidement que le bâtiment se dégrad (...)
. Cette politique est aussi critiquée en interne. « J’ai fait savoir que je n’étais pas d’accord avec cette attitude qui consiste à dire que les demandeurs d’asile devraient mieux nettoyer. Ailleurs, c’est un prestataire qui s’en occupe. Pour les parties collectives, c’est la structure hébergeante qui doit trouver des solutions », pointe un ancien salarié. Il décrit un manque d’écoute par la direction. « Nous assistons à une injustice à laquelle nous ne pouvons rien dire. Ça cause aussi une réelle souffrance au travail ».
L’équipe d’intervenants sociaux se trouve dans une situation difficile entre une hiérarchie « qui n’entend pas nos témoignages » et des résidents en colère, avec qui ils partagent le bâtiment de 9 heures à 18 heures. Une position intenable qui débouche sur un « grand taux de turnover ». (...)
Payés au SMIC alors que le niveau de diplôme moyen est à bac +5, les intervenants souffrent de conditions de travail déplorables. Ils sont payés comme des animateurs alors que leurs tâches correspondent à celles d’un intervenant social. Le manque à gagner s’élèverait à environ 600 euros par mois. Certains attendent donc avec impatience le rendez-vous mensuel avec une psychologue extérieure prévue dans les GAPP (groupes analyses pratiques professionnelles). « C’est l’occasion pour dire tout ce qui ne va pas, de se défouler », admet l’ancien salarié.
Devant l’absence de réactions de Coallia, la question de l’intervention des services de l’État se pose. La préfecture, compétente pour qualifier un habitat d’insalubre et ordonner la réalisation de travaux, n’a pas répondu à nos sollicitations. Chacun se renvoie la balle (...)
« On doit dévoiler les choses », insiste Clarisse. « Quand tu combats, il faut aller jusqu’au bout ».
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— SUDCoallia (@SCoallia) June 15, 2022