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Réforme de la SNCF (5) : la valse des sondages à gages
Article mis en ligne le 24 mars 2018
dernière modification le 23 mars 2018

Depuis l’annonce du projet de réforme de libéralisation du rail, les sondeurs sont sur le pied de guerre. Les grands médias se sont empressés de commander « leur » enquête sur la réforme, avec de préférence un résultat tapageur qui garantisse de bonnes « unes »… Quitte à sacrifier rigueur et déontologie. Ou comment les nombreux sondages sur les projets de libéralisation du rail témoignent une nouvelle fois des misères de la sondologie.

Les sondeurs sont de sortie : en l’espace de trois semaines (du 27 février au 20 mars), les instituts Odoxa, Harris Interactive, Elabe, Opinion Way ont publié un total de 6 enquêtes en ligne. Ces sondages ont été commandés par différents médias : France Inter, France Info, Public Sénat, Radio Classique, RMC, BFM Business, Atlantico, L’Express, Le Figaro, Les Echos, Challenges, ou Nice Matin. Leurs résultats semblent sans appel.

Morceaux choisis : (...)

Dans cette grande fête de la sondologie, les commentateurs s’en donnent à cœur joie. Les oracles de l’opinion publique se succèdent dans les grands médias pour dérouler la partition : le gouvernement a déjà gagné, et les salariés sont des « bloqueurs » honnis des « Français ».

Pourtant, à y regarder de plus près, on peut avoir de sérieux doutes quant aux résultats de ces enquêtes. Ces sondages sont tous issus de questionnaires en ligne qui, comme le rappelle Alain Garrigou, présentent de nombreux biais qui les rendent non représentatifs (part importante des non-répondants, stratégies commerciales de rémunération, échantillons de « volontaires », possibilités accrues de truquer en répondant plusieurs fois, etc.). À ces travers « classiques » s’ajoutent d’autres biais méthodologiques majeurs sur lesquels nous allons revenir.

Quand la réponse est dans la question… (...)

Autre exemple des paradoxes de la sondologie : le « sondage flash » Harris Interactive, commandé par RMC et Atlantico, également publié le 27 février. D’après cette enquête, les Français favorables aux ordonnances pour réformer la SNCF sont majoritaires (54 % des opinions exprimées contre 46 %). Dans le même temps, les Français favorables aux grèves et manifestations sont également majoritaires (53% des opinions exprimées contre 47 %). Des résultats pour le moins troublants... (...)

Et ce n’est pas fini ! À peine deux jours plus tard (le 1er mars), un nouveau sondage Odoxa commandé cette fois par France Info et Le Figaro, contredit le sondage Harris Interactive : « les Français » condamneraient par avance les mobilisations à 58 %. Cette fois, il révèle un nouveau biais de taille. D’après la notice du sondage, l’échantillon est constitué de 1003 personnes dont 202 sympathisants de gauche, 144 sympathisants LaREM, 120 sympathisants de droite hors FN et 161 sympathisants FN… On a connu mieux comme échantillon « représentatif ».

Mais c’est à ses pages finales qu’on mesure définitivement le sérieux de ce sondage Odoxa (et avec lui, celui de ses auteurs, de ses commanditaires et de tous ceux qui en reprennent les résultats ou les commentent les yeux fermés). Avec l’entreprise Dentsu Consulting, les sondeurs entreprennent d’étudier « la visibilité de la réforme de la SNCF [sur] Twitter, Facebook, Instagram, YouTube, Google+, ainsi que les blogs, les forums et les sites d’actualité en ligne »… Après avoir identifié « les mots les plus utilisés dans les messages sur la #reforme SNCF », les sondeurs font un compte-rendu de dix lignes des quelques 181 800 messages ayant circulé sur la toile entre le 22 et le 28 février. Et bien sûr, leur sens de la citation et leur esprit de synthèse défient toute concurrence ! (...)

Quand la sondologie à bas-prix se combine au micro-trottoir en ligne... On pensait avoir touché le fond, mais c’était sans compter la créativité débridée des sondeurs. Le sondage se conclut par une analyse… des petits émojis utilisés sur les réseaux. De cette analyse – ô combien empirique – les sondeurs déduisent que « 7 internautes sur 10 sont pour la suppression du statut des cheminots, jugés trop privilégiés ». Nous ne pouvons résister à vous la livrer telle quelle :(...)

La valse des enquêtes d’opinion sur la SNCF fait la démonstration de l’inanité du réflexe sondologique : biais méthodologiques, innovations très discutables, échantillons douteux, résultats contradictoires… Les « débats » sur les sondages qui se sont multipliés après l’élection de Donald Trump et le vote sur le Brexit semblent avoir fait long feu. Et c’est avec une foi renouvelée dans leurs prétendus « baromètres » que la foule des commentateurs médiatiques se délectent de résultats merveilleusement ajustés à leurs commentaires.