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Les infiltrés
Regarder en face le monde d’après
Article mis en ligne le 10 mai 2020
dernière modification le 8 mai 2020

Ce texte nous propose les réflexions d’un infiltré sur les conditions de réalisation des appels au « jour d’après », au « jour qui vient », qui se multiplient depuis le début de la crise du coronavirus pour réclamer un monde plus respectueux de l’humain et des écosystèmes. Il invite à prendre la mesure des forces de rappel du système qui ont fait échouer 40 ans de social-démocratie et à adopter une pensée radicale remettant en question les structures capitalistes.

Depuis le début du confinement nous n’entendons plus parler que du monde d’après, qui sera différent, forcément différent. C’est un point qui fait pour une fois l’unanimité et traverse tout l’échiquier politique. Il en dit long sur l’attachement que nous avions au monde d’avant, celui d’il y a à peine quelques semaines… Ainsi donc, toute personnalité politique sait que le monde d’hier est invendable. Quel échec collectif quand on y pense !

On ne veut plus

Il faut dire que les dysfonctionnements liés à la crise du coronavirus ont mis en évidence les rouages peu reluisants de notre système. (...)

Quiconque dirait que tout allait bien avant l’arrivée du virus serait cependant malhonnête. L’état de l’hôpital public n’est pas une surprise après des années de dénonciations, de luttes et de grèves des soignants. Par ailleurs, après les Gilets Jaunes, nous ne pouvions ignorer les conditions de vie dégradées d’une grande partie de la population. Plus généralement, le manque de sens au travail et le burn out étaient déjà des fléaux bien répandus. Et surtout, la conscience de l’impasse écologique dans laquelle notre mode de développement nous emmène était de plus en plus prégnante.
Bref, on ne peut donc pas dire que cette crise nous a trouvés en plein épanouissement collectif, sûrs de la pérennité de notre mode de vie… Il n’est pas surprenant que le changement soit attendu, et souhaité.

Ce que nous voulons

Malgré tout, nous sentons que le monde d’après a de grandes chances de ressembler furieusement à celui d’avant, le business as usual nous reprenant dans sa course effrénée vers l’abîme. C’est évidemment le scénario le plus probable. Est-ce parce que ce que nous voulons n’est pas clair ou parce que nous aurions été incapables de nous accorder sur la direction à prendre ? A bien y regarder il semble pourtant qu’on pourrait mettre d’accord beaucoup de monde autour de principes communs.

La pause actuelle de la consommation nous offre la possibilité de réfléchir à ce dont nous avons vraiment besoin. Produire moins, répartir mieux, travailler moins, ralentir, pourraient séduire largement. Moins de biens, plus de liens, comme le répète à l’envie François Ruffin depuis quelques temps. (...)

Beaucoup seront aussi d’accord pour faire progresser la démocratie. Qu’elle ne se limite pas à voter une fois tous les 5 ans pour un monarque tout puissant mais que des centres de décisions alternatifs soient mis en place et que de réels contre-pouvoirs puissent s’exercer. (...)

Mais c’est sans doute quand on s’intéresse aux mesures nécessaires à la préservation de notre écosystème que le consensus sera le plus facile à trouver. Relocaliser la production, vivre plus sobrement, produire moins et mieux, mettre fin à l’obsolescence programmée, réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre en réduisant notre consommation énergétique, aller vers une agriculture respectueuse de l’environnement sont quelques mesures non seulement souhaitables mais absolument nécessaires à la survie de l’espèce humaine, et des autres espèces.

Alors quoi ? Beaucoup d’idées semblent pouvoir faire consensus, non ? Quelles sont les forces de résistance ? (...)

Il ne faut donc pas s’arrêter aux grands discours mais regarder ce qu’il se passe ensuite. Ainsi Bruno Lemaire a-t-il commencé à lâcher le morceau : il faudra se serrer la ceinture. (...)

Nous avons compris, si l’on veut que le jour d’après ressemble un tant soit peu à nos souhaits, un sacré rapport de force devra s’engager contre nos dirigeants actuels. Heureusement pour le gouvernement, contrairement aux masques et aux tests, les stocks de gaz lacrymogènes et LBD sont toujours parfaitement approvisionnés.

La social-démocratie

Mais prenons-nous à rêver que le rapport de force nous soit tellement favorable que le gouvernement se retire et laisse place à une force de gauche voulant s’engager dans la direction présentée. Bizarrement, on sent que même sous ces conditions, ça ne serait pas gagné. Notre programme serait-il utopique ? Ou peut-être est-ce l’expérience de 40 ans de social-démocratie qui nous a vaccinés… Il est vrai qu’on a vu défiler les promesses jamais tenues depuis des années, au point que nous nous sommes plus à qualifier toute une classe politique de sociaux-traîtres. C’est pratique, ça défoule. Mais c’est un peu court car des raisons plus profondes expliquent leur capitulation systématique. Pour les comprendre, il faut s’attaquer à deux non-dits : la fondamentale incompatibilité du programme avec les structures capitalistes et les forces de rappel du système empêchant tout changement de cap.

Le capitalisme. Voilà, nous avons lâché le mot trop souvent évité. Il nous faut pourtant en passer par lui. Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas une question de mot fétiche qu’il faudrait absolument utiliser pour afficher son appartenance au bon camp. Si ce mot a son importance c’est parce qu’il nous permet d’avoir une analyse radicale des problèmes, au sens où il remonte à leur racine. (...)

La course au profit, l’indifférence à ce qui est produit, le consumérisme comme moteur, tout ça commence à nous faire comprendre le rôle essentiel du capitalisme dans la catastrophe écologique. De plus, la dynamique de ce système basé sur les initiatives privées en recherche d’une maximisation de leurs profits, est par nature incapable d’intégrer les frontières écologiques de la planète, aussi appelées externalités. Le souhait de réguler le capitalisme pour obliger les acteurs à intégrer ces contraintes est une course sans fin, impossible à mettre en oeuvre dans la pratique, et un regard historique nous enseigne d’ailleurs sur les échecs constants de ces tentatives1.

Les bases étant posées, on constate que beaucoup de nos problèmes sociaux et environnementaux ne découlent pas seulement de mauvais comportements humains individuels qu’il faudrait corriger, ils découlent d’abord de manière automatique des structures capitalistes, c’est à dire de l’organisation de notre mode de production (...)

 ? Il est vain de chercher à condamner des comportements immoraux, même s’ils existent, car tout est mécanique. Il y aurait bien des responsabilités à rechercher du côté de ceux qui ont contribué à mettre en place et renforcé les structures du capitalisme. Mais il est ensuite difficile d’incriminer les acteurs d’un système agencé pour produire des comportements conformes à ses règles et pénaliser ceux qui ne se s’y soumettent pas.

Croissance et capitalisme (...)

la mécanique capitaliste, cause de beaucoup des problèmes actuels de notre société, devient de plus en plus impossible à réguler. L’agencement du système dans sa forme néolibérale est donc conçu pour ne plus rien céder. Paradoxalement, sa rigidification est en fait le signe d’une grande faiblesse. Tout déplacement d’équilibre en la défaveur du capital risquerait effectivement de déstabiliser la mécanique d’ensemble. Le risque systémique est partout. N’est-il pas temps de penser le dépassement du capitalisme ?

Pourtant, ayant renoncé à penser les structures capitalistes et leur possible dépassement, les mouvements sociaux-démocrates continuent à faire semblant de chercher l’équilibre, qu’inconsciemment tout le monde sait impossible. Si la posture est confortable, toujours du côté de l’opposition, des victimes, du bien, elle en reste complètement inefficace et d’échec en échec, elle finit par les décrédibiliser. On comprend la déroute électorale qui finit par toucher la plupart des partis de gauche…

Pire, une gauche qui ne pense pas le cadre participe à chaque crise à proposer des mesures (comme le revenu universel, porté entre autres par Benoît Hamon) permettant de remettre sur pied le système capitaliste, qui une fois relancé ne manquera pas de rétablir les profits et poursuivre la destruction de la planète. (...)

Nous avons donc le devoir de rehausser notre niveau d’exigence et sortir des revendications à mi-chemin qui ne remettent pas en question le cadre. (...)

Mais cette volonté de rupture devra aussi être largement partagée avec la population pour avoir son appui dans la tempête qui ne manquera pas de se déclencher le moment venu de passer à l’action. Ce n’est pas quelque chose qui s’improvise une fois élu, l’impréparation conduira inévitablement à la catastrophe.

Comment alors penser le dépassement du capitalisme ? Son dépassement est-il un saut dans l’inconnu ? N’existe-t-il pas des acquis sur lesquels s’appuyer pour penser un mode de production alternatif ?

L’enjeu fondamental de la souveraineté sur le travail (...)

Il est urgent que toutes les forces de gauche s’emparent des propositions de rupture avec le capitalisme qui sont sur la table pour les travailler, les partager, les faire avancer plutôt que de s’engluer dans une stratégie dont l’expérience montre qu’elle est perdante depuis trop longtemps.

La crise économique qui s’ouvre sera terrible, très certainement bien pire que celle de 2008. Mais l’affaiblissement du système offre aussi des opportunités pour faire bouger le cadre. Cette fois-ci, il ne faudra pas laisser passer l’occasion de pousser pour un autre modèle. Derrière chaque proposition, revendication, une question doit se poser : celle-ci nous fait-elle faire un pas dans le sens de l’affranchissement au capitalisme ou contribue-t-elle à forger nos chaînes ? Il est temps de nous y mettre et de rehausser le niveau d’ambition pour le jour d’après.