
Comme chaque année, du 6 au 8 juillet, les « Rencontres économiques d’Aix-en-Provence » se sont tenues sous le patronage du Cercle des économistes, « réunion notoire, à quelques différences secondes près, d’amis du système [ayant à cœur] la célébration de la mondialisation et de l’Europe orthodoxe » qui influent fortement sur les politiques publiques [1] et de Bpifrance, organisatrice du « Village start-up ». Haut lieu de l’économie libérale rassemblant le gratin des « décideurs », des grands patrons aux membres du gouvernement en passant par de « jeunes entrepreneurs innovants », les rencontres d’Aix sont aussi un haut lieu de ménages pour les journalistes.
RTL, France Inter, France Info, L’Express, L’Obs, La Croix, France 2, BFM-Business, etc. : nombre de rédactions y ont dépêché des envoyés spéciaux, et nombre des grands pontes des chefferies éditoriales y ont animé des débats. L’occasion de rappeler que la pensée économique néolibérale n’a pas de frontière dans le paysage médiatique actuel et que les pratiques piétinant toute déontologie journalistique, au profit du réseautage et de l’entre-soi, vont toujours bon train dans la classe dominante.
Prétendant pompeusement déchiffrer « l’âge des métamorphoses » mondiales, ces Rencontres s’auto-consacrent, tout aussi humblement, comme « le rendez-vous de réflexion et de débat incontournable du monde économique en France ». Un rendez-vous ponctuel qui éclipse tout un pan de la pensée économique, comme c’est le cas le reste de l’année dans le débat public et médiatique [2], que les organisateurs, membres du Cercle mais également de conseils d’administration en tout genre, irriguent constamment de leurs lumières en se démultipliant sur les plateaux et dans les colonnes de la presse. (...)
La pensée libérale et capitaliste s’incarne autant dans la liste des partenaires et soutiens de ces Rencontres (banques, multinationales et grandes entreprises du secteur énergétique, des transports, du luxe et de l’automobile, cabinets de conseil, etc.) que dans les intitulés des débats et les « personnalités » invitées à y prendre part. Ainsi la question « L’éthique est-elle un frein économique ? » était-elle examinée par le président-général du groupe Total, le PDG de CMA CGM, « leader mondial du transport maritime » de conteneurs, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau et, enfin, le directeur général de l’entreprise « leader européen de gestion d’actifs » Amundi, Yves Perrier, à propos duquel Jean-Hervé Lorenzi affirmait l’an dernier dans Challenges : « C’est un chef de guerre […] Il y a dans le monde bancaire beaucoup de gens sympathiques et intelligents, mais qui ne savent pas gagner de grandes batailles. […] Yves, lui, est un homme d’action qui n’a peur de rien. » De même, lorsque le Cercle des économistes souhaite s’attaquer aux questions de santé à la faveur d’un débat intitulé « Quel système de santé dans un monde où nous vivons plus longtemps ? », il choisit de donner la parole à une grande entreprise pharmaceutique, une mutuelle privée et un cabinet d’avocats international. Les autres débats sont à l’avenant (...)
On l’aura compris, ces Rencontres sont à compter au rang des sommets permettant aux plus grands patrons de philosopher sur l’état du monde, tout en assurant le promotion des multinationales qu’ils dirigent et en chantant les louanges du capitalisme le plus débridé et décomplexé qu’ils pratiquent. (...)
Pour ces journalistes, animateurs et éditorialistes – coutumiers, pour certains, des conflits d’intérêts et des ménages –, compter parmi les animateurs de ces « Rencontres » est un signe de reconnaissance professionnelle ainsi qu’une opportunité d’élargir leur réseau relationnel au sein des cercles dirigeants. Mais le rôle qu’ils acceptent de jouer dans de telles « Rencontres » démontre surtout leur adhésion inconditionnelle à la pensée néolibérale et leur servilité à l’égard des puissants qu’ils s’emploient à présenter comme des figures tutélaires et bienfaitrices du monde contemporain. (...)