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Bloc-notes de Philippe Meirieu
Rentrée 2012 "Quelle refondation ?"
Philippe Meirieu
Article mis en ligne le 13 septembre 2012
dernière modification le 11 septembre 2012

l’école s’est éloignée progressivement de ses missions de service public (garantir le droit à l’éducation pour tous) pour promouvoir une forme de sélection par distillation fractionnée des exclus sous le nom d’ « égalité des chances ». Dire, comme on l’a entendu, que l’objectif de l’école, c’est de « faire émerger un Einstein dans le 93 » est grave. Non qu’il soit mauvais, bien sûr, de favoriser l’éclosion des « génies mathématiques » dans les quartiers défavorisés, mais parce que cela ne peut évidemment pas suffire à sauver les quartiers défavorisés, à y réhabiliter l’école et à fonder une société authentiquement démocratique. L’ « égalité des chances », c’est l’organisation de la concurrence entre les exclus ; c’est la résignation à l’échec d’une grande partie des élèves (sous prétexte qu’ « ils ont eu leur chance ») ; c’est même la légitimation de cet échec et l’acceptation d’une société à plusieurs vitesses… à peine tempérée par la mise en place d’un « socle commun » à la définition bien utilitariste et béhavioriste à la fois.

(...) il ne suffira pas de « réparer les dégâts » matériels des années qui viennent de s’écouler. Il faudra aussi changer de manière de penser, sortir du paradigme « libéral-technocrate » avec son cortège de contrôles hiérarchiques, son obsession des « grilles » et des tableaux « excel », son déni de la pédagogie sacrifiée sur l’autel de l’évaluation permanente. (...)

Je partage très largement le diagnostic sur lequel s’appuie la « concertation » : trop de jeunes quittent le système scolaire sans qualification, les écarts se creusent entre « l’école des héritiers » et « l’école des exclus », la maîtrise de la langue se dégrade, la formation des enseignants est sinistrée, les personnels sont « dépressifs » tant ils ont été malmenés. Mais, derrière cette description assez consensuelle, je suis convaincu qu’il faut regarder les lames de fond qui bousculent aujourd’hui notre institution scolaire, à l’insu parfois des acteurs eux-mêmes. Mon travail auprès des élèves « décrochés » m’a permis, en effet, de voir à quel point leur exclusion n’était pas un accident qu’il fallait simplement « réparer », mais, le plus souvent, la conséquence de la désarticulation de tout un système qu’il faut, effectivement, « refonder ». Or, une telle « refondation » ne peut s’improviser : elle nécessite un travail de fond et que crains que la concertation, menée tambour battant en trois mois de travail avec quelques centaines de personnes, ne permette pas d’aller vraiment au fond des choses. Mais j’espère être démenti et « déçu en bien », comme disent nos amis québécois. (...)

identifier les leviers qui pourraient permettre la « refondation » qu’on nous promet. J’en vois au moins trois, profondément liés entre eux : institutionnalisation, mobilisation et formation.
(...)

paradoxalement, c’est l’école primaire qui a le mieux résisté, à mon avis, aux effets de la déconstruction de ces dernières années. C’est là où demeurent, le plus souvent, des équipes mobilisées, des expériences pédagogiques originales, un vrai souci de l’accompagnement des enfants et de l’accueil des familles, etc. Il ne faut pas que la priorité à l’école primaire soit un déni des acquis de l’école primaire… et, surtout pas, un alignement de l’école primaire sur le collège qui resterait, lui, « intouchable ». La priorité à l’école primaire devrait se traduire, pour moi, par l’abandon des programmes de 2008, la reconstruction des RASED, une vrai formation pédagogique – initiale et continue – des enseignants… et un travail de fond sur la pédagogie de « l’entrée dans l’écrit », qui est une clé essentielle de la réussite scolaire, et ne se réduit nullement à ce qu’on nomme « maîtrise de la langue », ni, a fortiori, à l’acquisition (nécessaire) de l’orthographe et de la grammaire.
(...)

« L’éducation à la citoyenneté  » comporte, pour moi, deux faces indissociables. D’une part, elle renvoie à des dispositifs et des savoirs spécifiques ; d’autre part, elle doit constituer le « point de fuite » de tous les apprentissages et, plus largement, de toutes les activités scolaires. Il faut donc, en même temps, promouvoir des situations pédagogiques comme « le conseil » dans la pédagogie coopérative et institutionnelle (à condition qu’il soit bien préparé, loin de tout spontanéisme) ou la pratique du « débat documenté et argumenté », tel que nous l’avions conçu dans le cadre de l’Education civique, juridique et sociale (ECJS). Mais, d’autre part, il faut que tous les apprentissages s’effectuent dans une perspective de formation du citoyen (...)

Les RASED constituent une excellente réponse aux difficultés scolaires car ils permettent précisément d’apporter une aide spécialisée aux élèves qui en ont besoin sans créer des « classes de niveaux » qui deviennent vite des « classes ghettos ». Ils sont une excellente antidote à l’exclusion car ils évitent que les enseignants, démunis devant certains élèves, soient tentés de s’en débarrasser. Ils représentent un bon modèle pour sortir de l’oscillation infernale entre « classes homogènes » et « classes hétérogènes » car ils font, tout à la fois, « droit à la ressemblance » (les élèves travaillent ensemble, dans la même classe, « malgré » leurs différences) et « droit à la différence » (chaque élève a droit à un traitement particulier si cela correspond à ses besoins). C’est pourquoi je crois que, non seulement, il faut rétablir les RASED dans l’enseignement primaire, mais il me semble qu’il faudrait construire leur équivalent dans l’enseignement secondaire, au collège et - pourquoi pas ? – au lycée. (...)