
Zemmour en majesté, les exilés afghans en épouvantails, les droits de l’Homme snobés, le “grand remplacement” à toutes les sauces… La semaine dernière, pour leur rentrée, BFMTV, LCI et CNews ont fait assaut d’inventivité contre le “politiquement correct”.
« L’immigration au cœur du débat politique à droite », annonce Olivier Truchot sur BFMTV. Du coup, l’immigration est aussi au cœur des débats pour la rentrée des chaînes info, le lundi 30 août. « Éric Ciotti, vous proposez carrément d’organiser un référendum sur l’immigration. C’est pas un peu de la surenchère ? – Pas du tout. » C’est déjà ce que propose Marine Le Pen. « L’article 55 de la Constitution dit que les traités, les conventions sont supérieurs aux lois, déplore l’élu LR. Je propose de modifier cet article 55 en matière migratoire par le biais d’un référendum. » À ces mots, un vulgaire droits-de-l’hommiste se serait ému qu’un candidat à la présidentielle appelle à piétiner traités et conventions internationales. Mais Olivier Truchot voit plus loin : « Si les Français disent non, vous démissionnez ? » Insoutenable suspense. (...)
« Christophe Barbier, pourquoi la campagne à droite démarre sur l’immigration ? – La France de droite est très sensible à ce sujet et ceux qui sont autour : immigration, insécurité, islam, terrorisme, tout ce conglomérat sécuritaire. » Le conglomérat qui fait naturellement de l’immigré un terroriste en puissance. « Et puis il y a une raison presque psychanalytique, en tout cas historique, poursuit le Lacan de BFMTV. La droite a deux remords. C’est la droite gaulliste qui a organisé le démantèlement de l’empire colonial. L’immigration, c’est le chapitre suivant et on a cette difficulté à vivre cela. » Il faudrait rétablir l’empire colonial pour guérir la névrose de la droite. « Deuxième remord, c’est la droite qui a fait le regroupement familial. L’immigration n’était plus une immigration de travail et donc ça a donné des arguments : “immigration de peuplement”, ce que d’autres ont appelé le “grand remplacement”. » Tranquillou, Christophe Barbier valide le « grand remplacement » et l’impute à la droite, qui n’a le choix que de devenir extrême pour le contenir. (...)
On entend deux sons de cloche. Christophe Barbier, on accueille trop, pas assez ? – Du point de vue de l’opinion française, y a une véritable inquiétude. Parce que l’immigration est là. C’est déjà trop. Sur le thème de l’immigration, poursuit Alain Marschall, il y a un autre discours encore plus radical qui porte, c’est celui d’Éric Zemmour. » Il porte au point de devenir la référence des chaînes info en ce jour de rentrée (comme je le relate dans la chronique « En léger différé » à lire ce mercredi dans Télérama). Le présentateur demande à Éric Ciotti : « Vous adhérez à son discours sur la République en danger face à l’islam ? » L’invité confirme : « La droite doit sortir du politiquement correct. » Les droits de l’Homme, ça commence à bien faire.
Pendant ce temps, Laurence Ferrari aussi fait sa rentrée. (...)
Michel Onfray dénonce « le gauchisme culturel », « l’effondrement du pays, de la nation ». « La décadence est inéluctable. Il faudrait une révolution culturelle. » De plus en plus maoïste, le philosophe.
Il est 19 heures, Laurence Ferrari annonce : « Michel Onfray, vous restez avec nous. On se retrouve dans un instant sur Europe 1… » Pas besoin d’allumer la radio, il suffit de zapper sur LCI pour retrouver Louis de Raguenel, chef du service politique d’Europe 1 venu de Valeurs actuelles, présent pour la rentrée de 24h Pujadas en compagnie du Dr Martin Blachier qui, fort de la clairvoyance déployée l’an dernier (le Covid, c’est fini), rempile pour une nouvelle saison de prophéties télévisées. Laurence Ferrari poursuit : « … Et sur CNews, vous avez rendez-vous avec Christine Kelly et ses invités. » Ça va changer de Michel Onfray. (...)
Éric Zemmour débite ses passionnants monologues sur les Afghans, tous des violeurs (voir la chronique susmentionnée) et prend le parti des opposants au passe sanitaire : « Il y a un piège tendu aux manifestants. On l’a vu quand les médias ont sauté sur l’occasion d’une fille [sic] avec son panneau soi-disant antisémite. » Alors que cette pancarte, brandie par une ancienne candidate du FN, qualifiait seulement de « traîtres » des personnalités juives. Il vole aussi au secours de Didier Raoult, qui « subit la vindicte de l’establishment ». Il pourfend « l’industrie pharmaceutique », rappelle que « la vaccination est beaucoup moins efficace qu’on ne le dit ». Deux jours plus tard, toujours sur CNews, Jean-Sébastien Ferjou, d’Atlantico, soutient que « les vaccins sont encore en phase de tests ». Pas de doute, cette saison comme la précédente, il faudra se méfier de CNe…, pardon, des maudits réseaux sociaux qui ne font rien qu’à véhiculer des fake news antivax. (...)
C’est l’heure de Pascal Praud, qui a un conseil pour Emmanuel Macron, bientôt en visite à Marseille : « Je sais comment on arrête le trafic de drogue en huit jours, c’est très simple. Première fois où tu vends de la drogue, dix ans, deuxième fois, vingt ans, troisième fois, prison à vie. Y a plus de dealers en France très vite. – Y a un problème, objecte Jérôme Béglé, du Point. On n’a plus de places de prison. – Y a des gens qu’ont des idées, rétorque Pascal Praud. Qui disent : “On rouvre des bagnes.” » Aux îles Kerguelen. Jean-Claude Dassier tempère : « On pourrait se contenter de refaire des prisons. – Sauf que les prisons, vous les aurez dans cinq ans. – Ce qu’il faut faire, c’est confier la construction au privé, ça va aller vite. » Pour mettre tout le monde d’accord, je propose de confier la construction de bagnes au privé. (...)
Avec le recul dont il est coutumier, Ivan Rioufol, du Figaro, remet le trafic de drogue dans son contexte. « Ce sont des phénomènes de libanisation, des chocs de civilisation. Il y a des petits Kosovo qui sont en train de se préparer un peu partout qui nous font prévoir des guerres civiles qui vont arriver, qui sont déjà là. » Pour l’éviter, il suffirait d’envoyer tous les (supposés) musulmans dans les bagnes construits par le privé. L’idée fait l’unanimité, de la droite à la gauche. Ainsi, Manuel Valls, nouvelle recrue de RMC et BFMTV, déclare-t-il deux jours plus tard sur RMC Story, dans Apolline matin, émission animée par Apolline de Malherbe, compagne de l’ex-bras droit de Valls à Évry (le monde vallsiste est petit), qu’il faut « tout raser » les quartiers de Marseille pour ensuite les « repeupler ».
Le soir, Manuel Valls réapparaît sur BFMTV, toujours pour commenter la visite de Macron à Marseille. Il répète sa volonté de nettoyage ethnique, pardon, de « repeuplement » mais « jamais en succombant dans la démagogie ». Dans un souci de pluralisme, la chaîne info lui oppose Brice Hortefeux, d’autant plus qualifié à disserter de la délinquance qu’il est mis en examen pour association de malfaiteurs et financement illicite de campagne électorale dans l’affaire libyenne. (...)
Le démographe Patrick Simon intervient : « Les enfants qui sont nés en France, eux, c’est nous. – On arrive au cœur du problème, réagit Natacha Polony. “Eux, c’est nous,” c’est ça qui est au cœur du glissement qu’on voit dans le débat. Ce serait une question de culture, de religion. » Eux, ce n’est pas vraiment nous. « On ne peut pas demander à des gens de ne pas avoir peur des changements de population si on ne leur garantit pas que la culture va rester à peu près stable, c’est-à-dire qu’ils pourront se perpétuer dans leurs habitudes. » Que leurs habitudes ne seront pas grand-remplacées. (...)
Après quoi « c’est l’heure de retrouver nos observateurs, nos analystes préférés, Barbara Lefebvre et Raphaël Enthoven ». Toutes les sensibilités sont représentées. À propos du désastre afghan, le second prédit : « On va ardemment regretter l’époque où on faisait aux États-Unis le procès d’être les gendarmes du monde. – Parce que y a le sentiment que ça suscite des vagues de migration, rebondit Ruth Elkrief, et ces migrations nous reviennent en boomerang. » Là-dessus, tout le monde est d’accord (avec Marine Le Pen). « Ça enflamme la campagne présidentielle qui commence, poursuit Ruth Elkrief, et c’est l’emblème de la menace, ces migrants afghans avec dans quelques jours l’ouverture du procès du 13 Novembre dans lequel il y avait des migrants syriens kamikazes. » En réalité, aucun des auteurs des attentats du 13 Novembre n’était de nationalité syrienne… Mais ça aurait pu, et c’est bien la preuve que les exilés afghans sont des terroristes en puissance. (...)
« Il y a deux positions également délétères, estime Raphaël Enthoven. Soit on ferme tout, soit on ouvre tout. La position de vouloir fermer absolument les frontières, le discours de Marine Le Pen, est à la fois utopique et dangereux. Mais, de l’autre côté, le discours de l’accueil inconditionnel est à la fois dangereux et utopique, et surtout cynique parce que chacun sait que jamais ça ne passera et je trouve ceci encore plus dangereux. » Fidèle à une ligne qui a fait ses preuves (plutôt Hitler que le Front populaire), le philosophe soutient que les droits-de-l’hommistes sont plus dangereux que Marine Le Pen.
Ruth Elkrief nuance : « On devrait pouvoir organiser un accueil des femmes afghanes, d’intellectuels, d’artistes… » « Les femmes avocates, les femmes artistes… », insiste Barbara Lefebvre. Puisqu’on vous dit que les pauvres et les hommes sont nécessairement des réfugiés économiques enchantés du retour des talibans. (...)
Le samedi, BFMTV poursuit sa saga zemmourienne au moyen de multiples sujets et interviews de Gilbert Collard, promeut obligeamment la vidéo dans laquelle il « présente son nouveau livre et annonce une tournée promotionnelle ». Enfin, ce lundi s’ouvre avec le slogan « Zemmour président ! » clamé par des Sétois tandis que les experts de la chaîne commentent son envolée (de 7 % à 8 %) dans un nouveau sondage. Fait notable, CNews se garde bien de relayer les faits et gestes du candidat Zemmour : il serait malséant d’évoquer les engagements politiques du journaliste qu’elle emploie. Un souci déontologique tout à son honneur. D’autant qu’elle peut compter sur LCI et BFMTV pour relayer abondamment les aventures de sa tête de gondole. On ne dira jamais assez la complémentarité des chaînes info.
"L'étrange n'est pas toujours au pays étranger", disait Charles Péguy qui invitait à "regarder la France comme si on n'en était pas". Confirmation avec ce cauchemar médiatique de rentrée visité, avec sa rigueur et son brio habituels, par @SamGontier de @Telerama https://t.co/N4q9tWfeHp
— Edwy Plenel (@edwyplenel) September 7, 2021