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Retraites et démobilisation sociale : l’éternel retour
#medias #retraites
Article mis en ligne le 21 janvier 2023
dernière modification le 20 janvier 2023

Le 10 janvier, à la suite des annonces de la Première ministre, l’intersyndicale annonçait une première journée de grèves et de mobilisation contre la réforme des retraites, le 19 janvier. Annonce saluée comme il se doit par l’orchestre des chiens de garde médiatiques, trop contents de pouvoir reprendre en chœur l’un de leurs couplets favoris : l’ode à la démobilisation sociale.

Incapable de s’intéresser aux formes et aux enjeux du combat social et de son organisation, le journalisme dominant suit, à la lettre, sa feuille de route traditionnelle par temps de « réforme » : les professionnels du commentaire accaparent plateaux et micros pour diagnostiquer à grands coups de sonde l’état de « l’opinion », pronostiquer l’étendue des « galères » du futur « jeudi noir », et marginaliser syndicalistes et opposants politiques : retour sur une semaine de mobilisation médiatique... contre la mobilisation sociale.

« La réforme passera » : « fatalisme des Français »… ou détermination des chiens de garde ?

Au soir des annonces d’Élisabeth Borne, sur le plateau de « C dans l’air » (France 5, 10/01), Brice Teinturier (Ipsos) tient à rassurer la tablée : « Mon hypothèse, c’est que compte tenu des efforts qui ont été faits pour les régimes spéciaux, il peut y avoir une mobilisation forte mais je serais un peu étonné qu’elle dure des semaines et des semaines. Parce que d’abord, à mon avis, les gens ont quand même en grande partie intégré l’idée que si le gouvernement passe de 65 à 64 ans, il n’ira pas tellement au-delà en termes de négociations et [...] vous vous mobilisez quand vous pensez quand même pouvoir arracher quelque chose. » Par un heureux hasard, les « impressions » de Gaëlle Macke, directrice déléguée de la rédaction de Challenges, confirment les « hypothèses » du sondologue : « Il y a quand même un certain fatalisme, on a l’impression, sur ce sujet. » Pour que le fatalisme se répande, rien de tel, en effet, que de le prescrire à toutes et à tous (...)

Des matinales radio aux magazines d’actualité, en passant par les colonnes de certains journaux, cette petite musique est omniprésente. La circulation libre et non faussée des prophètes de la démobilisation y est pour beaucoup : le 11 janvier, c’est au 20h de France 2 que l’on retrouve Brice Teinturier dispenser le même pronostic de défaite : « Se mobiliser pendant des jours et des jours, et le faire quand vous vous dites "on obtiendra peu de résultat", ce n’est pas forcément dans le calcul coût-bénéfice quelque chose qui va dans le sens d’une mobilisation durable. » En pointe dans le registre des élucubrations divinatoires, Nathalie Saint-Cricq distille elle aussi la résignation tout en prétendant diagnostiquer celle des « Français » (...)

À l’appui de telles affirmations ? Des sondages, dont les commentateurs s’enivrent aveuglément – malgré les critiques formulées depuis des décennies à leur encontre –, et qu’ils utilisent pour maquiller grossièrement leurs partis pris, rabâchés obstinément. Fidèle au poste, le traditionnel duo Ifop/Journal du dimanche excelle en la matière. (...)

À l’appui de telles affirmations ? Des sondages, dont les commentateurs s’enivrent aveuglément – malgré les critiques formulées depuis des décennies à leur encontre –, et qu’ils utilisent pour maquiller grossièrement leurs partis pris, rabâchés obstinément. Fidèle au poste, le traditionnel duo Ifop/Journal du dimanche excelle en la matière. (...)

« La réforme passera », répète, dans un second article, le JDD, biberonnant les bavardages des sondeurs, et bien décidé à épauler le gouvernement :

Ces Français mécontents iront-ils clamer dans la rue tout le mal qu’ils pensent de cette réforme ? Rien n’est moins sûr. [...] Car occuper la rue apparaît vain : 68% des Français pensent ainsi que la réforme Macron passera malgré tout. (...)

« La réforme passera », répète, dans un second article, le JDD, biberonnant les bavardages des sondeurs, et bien décidé à épauler le gouvernement :

Ces Français mécontents iront-ils clamer dans la rue tout le mal qu’ils pensent de cette réforme ? Rien n’est moins sûr. [...] Car occuper la rue apparaît vain : 68% des Français pensent ainsi que la réforme Macron passera malgré tout. (...)

matraquage médiatique prophétisant le succès de « laréforme » et l’échec de ses opposants. Une partition performative reprise en boucle par BFM-TV. (...)

Prêcher le découragement, sans trêve ni repos. Une mission dont s’acquittent aussi bien les têtes d’affiche du service public. Sur France Inter (11/01), face à Laurent Berger qui évoque la « détermination des travailleurs », Léa Salamé ne parvient pas à réprimer sa morgue : « Mais vous savez que de toutes les manières, il passera ce texte. » Même musique sur France Info (...)

« C’est ce qu’on dit », et qu’on rabâche... dans les grands médias. À cet effet, le service public est plein de ressources : le 16 janvier, l’émission « Les Informés » invitait autour de la table Laurence Sailliet – une habituée des plateaux de Cyril Hanouna –, présentée comme « éditorialiste et chroniqueuse politique » sans qu’il soit fait mention de son ancien poste de porte-parole pour le compte… des Républicains. Par sa voix, les auditeurs apprendront donc, ô surprise, que « le gouvernement ne cèdera pas [...]. On peut y passer trois ans, on est d’accord ou pas mais c’est ainsi. De toute façon, hier, dans le sondage Ifop-JDD, 68% des français disent qu’ils savent que la mesure va être adoptée et va être appliquée. Donc je crois que tout le monde a compris. » L’animateur de l’émission, Jean-François Achilli n’hésitait pas, quatre jours plus tôt (12/01) dans la même émission, à solliciter les bonnes idées de ses convives pour… fracturer le front syndical : « Il n’y a aucun moyen de faire renoncer la CFDT, euh, à mobiliser ? » Une idée partagée par le journaliste Julien Arnaud sur une chaîne concurrente (...)

« La galère » qui vient et le matraquage anti-grévistes

Les chefferies éditoriales semblent déterminées à dépeindre cette journée de grève sous les sombres couleurs d’un « jeudi noir ». (...)

Présent chaque jour sur les plateaux de télévision, l’économiste et essayiste Olivier Babeau tient lui aussi à « pousser une gueulante par anticipation » contre les syndicats, d’ores et déjà qualifiés d’« irresponsables » (BFM-TV, 15/01) (...)

En plateau, trois chroniqueurs sur quatre sont d’accord… et enfoncent le clou du mépris. Mépris et injonctions que l’on retrouve dans la bouche des grands intervieweurs des matinales radiophoniques (...)

En plateau, trois chroniqueurs sur quatre sont d’accord… et enfoncent le clou du mépris. Mépris et injonctions que l’on retrouve dans la bouche des grands intervieweurs des matinales radiophoniques (...)

Et si la mobilisation journalistique contre les opposants ne fait que commencer, certains ont déjà placé la barre très haut. Ainsi des journalistes animant « Le Grand Jury » (RTL/LCI/Le Figaro) qui, le 15 janvier, encourageaient le gouvernement – représenté ce jour par Aurore Berger – à légiférer urgemment pour entraver le droit de grève (...)

Les « risques de débordements » : un journalisme de préfecture par anticipation

Le bingo de la démobilisation sociale n’aurait pas été complet sans une dose de journalisme de préfecture. Le 10 janvier, BFM-TV consacrait ainsi une part non négligeable de son temps d’antenne à relayer une « note des services de renseignements » anticipant des violences (de manifestants) lors des futures manifestations. Une co-construction de la peur, à grand renfort de communication policière que les journalistes reprennent à leur compte sans aucune distance. (...)

Circulation circulaire de l’information oblige, les journaux radiophoniques en font mention, tout comme le 20h de France 2 [2] tandis que sur LCI (10/01), cette non-information est utilisée pour cadrer l’interview d’un responsable syndical : « Est-ce que vous craignez [...] les radicaux, les black blocs qui se mêlent aux cortèges ? » s’inquiète ainsi Julien Arnaud face à Yvan Ricordeau, secrétaire national CFDT. Ce dernier refuse-t-il de « verser dans la spéculation sociale » ? C’est irrecevable pour le chien de garde, qui insiste (...)

Pendant plus d’une semaine, les chiens de garde, engagés à corps perdus dans la « bataille de l’opinion », et se positionnant de fait, sous couvert de « commentaires », comme autant d’acteurs politiques dans le débat public, semblent bien décidés à mater le « désordre » annoncé. S’il ne fait que commencer, le journalisme de démobilisation sociale est déjà au sommet de son art. (...)