
Le Premier Ministre a tranché en faveur d’une réforme des retraites qui va plus vite (ce sera exécuté en quelques jours), plus loin (la durée de cotisation augmentera encore) et plus fort (au nom de la justice) que celle de ses prédécesseurs. C’est la Blitzkrieg contre les retraites. Tous les acteurs sont abasourdis. Le Medef fait semblant d’être mécontent, c’est dire ! Et les syndicats risquent d’avaler globalement la couleuvre. On va donc crier une fois de plus dans le désert : pourtant, l’alternative existe en ce qui concerne le financement, la conception du travail et ses finalités.
Nous l’avons déjà dit ici, mais répétons-le : l’aggravation des déficits des caisses de retraite (20 milliards d’euros prévus en 2020) ne sont pas dus à l’évolution démographique mais à la crise et au chômage. C’est confirmé par le rapport Moreau publié en juin dernier : « La durée et l’ampleur de la crise depuis 2008 affectent fortement le système des retraites et rendent plus exigeantes les conditions du retour à l’équilibre. À long terme, les effets directs de la crise économique sur les ressources du système de retraite ne seront pas atténués mais la crise, en pesant négativement sur les pensions futures des générations touchées, aura pour conséquence de ralentir l’effet de noria sur la croissance de la pension moyenne des retraités, tant que toutes les générations touchées par la crise ne seront pas parties à la retraite. »[1]
L’objectif assigné à la nouvelle contre-réforme est donc clair, et c’est d’ailleurs reconnu : il s’agit de « la nécessité pour les régimes de retraites de s’inscrire dans la trajectoire des finances publiques retenues par les pouvoirs publics et de concourir au redressement des comptes publics et à la crédibilité internationale de la France »[2].
Le péril vient donc de la poursuite de politiques d’austérité qui aggravent la récession et de l’accomplissement des « réformes structurelles » réclamées à cor et à cri par la Commission européenne, le patronat et tous les lobbies de l’assurance. (...)
Les contre-réformes précédentes entérinées
Presque toutes les dispositions prises en 1993, 2003 et 2010 sont tenues pour acquises : sous-indexation des pensions par rapport aux salaires, calcul des pensions sur la base des 25 meilleures années au lieu des 10 pour les salariés du privé, et, par dessus tout, allongement indéfini de la durée de cotisation.
Tout cela au nom de l’allongement de l’espérance de vie qui condamnerait l’humanité à travailleur toujours plus longtemps : tout gain d’espérance de vie serait partagé entre 2/3 au travail et 1/3 à la retraite. Les générations de 1955 et 1956 doivent déjà cotiser 41,5 ans et celle de 1957 devra cotiser 41,75 ans, en application de la loi de 2010. La réforme Ayrault prolongera cette tendance au-delà de 2020 pour atteindre 43 ans en 2035, en dépit d’un chômage croissant qui touche jeunes et vieux, et en dépit d’une baisse des pensions à cause de la difficulté d’obtenir une retraite à taux plein. (...)
Le gouvernement a choisi de relever légèrement les cotisations plutôt que d’augmenter la CSG. Les cotisations salariales et les cotisations patronales seront augmentées de 0,15 point en 2014, puis de 0,05 point pour les trois années suivantes. En 2017, la hausse atteindra 0,3 point pour chacune, et cela dans tous les régimes de retraite.
Ce choix est révélateur de l’ensemble de la philosophie derrière laquelle se range le gouvernement. Il entérine le mode de répartition que le capitalisme néolibéral a imposé depuis plus de trois décennies : tous les acquis sociaux doivent être réduits au nom de la compétitivité et de la rentabilité, en même temps que les salaires directs ne doivent plus progresser au rythme de la productivité. (...)
La branche de l’alternative opposée à la réforme Ayrault consisterait donc à placer le curseur de la répartition des revenus dans l’autre sens, par le biais d’une hausse des cotisations véritablement à la hauteur des besoins sociaux. Pour éviter le sempiternel lamento sur le « coût du travail », il s’agirait d’élargir l’assiette des cotisations sociales en y incluant les dividendes, qui cotisant ou pas, seraient de toute façon distribués. Autrement dit, il s’agirait de réduire le coût du capital imposé à la société.
Précisons que cet élargissement de l’assiette des cotisations sociales n’a rien à voir avec une fiscalisation du financement des retraites, ni avec une réforme fiscale, par ailleurs indispensable. Insistons aussi sur le choix des mots : soumettre les dividendes à cotisation et non pas créer une « contribution sociale sur les revenus financiers des entreprises »[8] ou une « taxation des revenus financiers », qui risquerait de provoquer la confusion avec d’autres formes de prélèvements, comme l’impôt sur les revenus du capital ou du patrimoine, voire sur les plus-values boursières ou les transactions financières. (...)
La question de la retraite est inséparable de celle de la place du travail dans la société et des finalités qui sont assignées à celui-ci. D’une part, parce qu’il devient urgent que la pénibilité soit réellement prise en compte pour l’attribution de droits ; de ce point de vue, on ne dispose d’aucune certitude concernant les critères qui seront retenus par la réforme Ayrault. D’autre part, parce que la crise capitaliste mondiale étant à la fois d’origine sociale et écologique, le financement de la protection sociale ne peut être placée sous le signe d’une croissance économique forte. La nécessité d’un choc de répartition est de ce fait accrue. C’est le sens de la socialisation permise par la cotisation. (...)