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Non-Fiction
Rêver la fin du monde pour penser l’avenir
Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse Jean-Paul Engélibert La Découverte 250 pages
Article mis en ligne le 30 septembre 2019
dernière modification le 28 septembre 2019

A côté des fictions apocalyptiques nihilistes, des fictions critiques confèrent derechef à l’humanité un sens de l’action et envisagent la fin du monde comme un point de départ.

Peut-on distinguer, dans la masse des documents fictionnels du présent portant sur la fin du monde, une conception critique de l’apocalypse d’une conception nihiliste, sans doute bien plus courante ? Cette question ne renvoie pas à une enquête générale sur les mille formes des récits d’apocalypses produits depuis la nuit des temps, ni sur les plus imagées, depuis la chapelle Sixtine de Michel-Ange (1483) jusqu’à la Melancholia de Lars von Trier (2011). Elle renvoie plutôt à une méditation sur la notion d’« apocalypse », très ancienne et d’origine religieuse, qui désigne en premier lieu la « révélation », d’après le texte de saint Jean. L’enquête se réduit pourtant à une exploration de notre époque et tente de se frayer un chemin dans la prolifération des fictions de toutes sortes portant sur les catastrophes mondiales pressenties.

La première caractéristique des discours d’apocalypse est qu’ils se situent à la fin des temps – après le péril atomique et la crise écologique –, terme imposé selon les cas par une guerre, une explosion, une sécheresse, ou tout autre drame. Situant leur réflexion juste après la catastrophe réalisée, imaginant le monde déjà détruit, ces discours se désespèrent d’une fin du monde contre laquelle personne n’a pu agir, et n’a pu déployer des voies nouvelles. Ce sont des apocalypses nihilistes.

Mais justement, il existe d’autres fictions et d’autres discours qui procèdent autrement : ils se situent bien à la fin des temps, mais en s’autorisant à déployer des possibles, envisageant autrement le temps et les organisations humains. Ils font de la fin du monde un point de départ plutôt qu’un point terminal. Ils refusent de souscrire aux discours de la fin encombrés de millénarismes.

Ce sont ces discours et ces fictions que Jean-Paul Engélibert étudie dans cet ouvrage. Professeur de littérature comparée à l’université Bordeaux-Montaigne, il a relevé ces discours qui promeuvent un optimisme paradoxal dans l’apocalypse. Et c’est en suivant, à juste titre, l’attitude de Spinoza (« ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre ») qu’il nous en propose le commentaire. (...)

La proposition est excitante. Il y aurait donc des fictions qui décrivent le temps de la fin, mais sans prétendre que « le monde » s’y termine. Elles interrogent plutôt une manière de vivre comme si le monde devait se terminer demain. Et en conséquence : elles éclairent le présent plutôt qu’elles ne précipitent l’arrivée de la fin. L’imagination à laquelle elles donnent lieu devient la condition d’une politique, d’une lutte éventuelle pour faire advenir un monde qui mériterait d’être vécu.

La proposition revient donc à faire émerger un apocalyptisme critique qui convoque un au-delà révélant la destructivité de notre histoire tout en l’inscrivant dans la promesse d’autre chose. Menace et promesse se conjuguent ici. Un autre monde est possible, à condition d’une critique radicale du nôtre. (...)

Dernière caractéristique de ces fictions, selon l’auteur : elles tentent de prendre des distances avec le présentisme dans lequel la plupart d’entre nous semble se réfugier, si l’on en croit l’historien François Hartog. Dans le présentisme, aucun futur n’est possible ou envisageable, ou du moins aucune action ne semble pouvoir proposer autre chose, une autre forme de la vie humaine et/ou collective. Les apocalypses dont il est question ici, en revanche, donnent à chacun l’opportunité de cultiver son enracinement terrestre, en inscrivant dans le temps la promesse d’un autre monde. (...)

Un autre monde est donc possible, sous la condition d’une critique radicale du nôtre. (...)

les apocalypses critiques ont le mérite, face aux discours de l’anthropocène, de souligner que toute l’humanité n’est pas responsable au même titre des dégâts constatés, et de rappeler quel type d’humain (l’anthropos, justement) est engagé dans cette dynamique, autrement dit, l’homme moderne. Quant au discours sur l’inéluctabilité de l’apocalypse, il ne se déroule pas, dans l’apocalypse critique, comme dans les discours postmodernes de l’anthropocène. Les récits ne promeuvent pas le conservatisme ou le présentisme contre les inventions de la modernité.

Sans doute ferait-on donc mieux de parler de capitalocène plutôt que d’anthropocène. Les responsabilités seraient mieux distribuées. On citerait moins « la » catastrophe historique de la fin du monde, que « des » catastrophes sur lesquelles il serait encore possible d’agir.

L’auteur renforce alors son optique à l’aide des écrits d’Hannah Arendt (...)

L’affirmation poétique de ces fictions donne corps à des préoccupations différentes : apprendre à se situer dans le présent, et y puiser l’énergie du désespoir grâce à laquelle révoquer l’ancien monde mais au profit d’un nouveau monde éventuel.