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Reworld Media, un groupe de presse contre le journalisme
Article mis en ligne le 18 octobre 2018

Méconnu malgré le nombre important de publications papier et numériques qu’il contrôle, le groupe Reworld Media a récemment attiré l’attention en entrant en négociation avec le groupe italien Mondadori pour l’acquisition de ses magazines français tels que Grazia, Closer ou Télé-Star. À cette occasion, le communiqué d’une intersyndicale des salariés de Mondadori, ainsi qu’une enquête du Figaro sur les méthodes de Reworld Media, exposent des pratiques cohérentes avec les CV de ses dirigeants : résolument du côté du business et des annonceurs, où articles et lecteurs ne sont que contenus (idéalement sponsorisés) et cibles marketing.

Reworld Media, un groupe de presse français fondé en 2012, n’est pas le plus connu. Il ne figure pas sur la carte « Médias français : qui possède quoi ? » que nous réalisons en partenariat avec Le Monde Diplomatique, parce qu’il ne contrôle pas de média dit généraliste, ni de média à très large diffusion, mais essentiellement des magazines thématiques qu’il a rachetés notamment aux groupes Marie Claire et Axel Springer France en 2013, puis au groupe Lagardère en 2014 : le titre Marie France, des publications vendues aux caisses des supermarchés comme Télé Magazine, Vie Pratique, Gourmand, etc., et d’autres titres et sites spécialisés comme Auto Moto, Maison & Travaux, Football365, etc.

Depuis sa création, Reworld média a également racheté d’autres entités, comme Tradedoubler (en 2016), une société spécialisée dans le « marketing à la performance », qui consiste, pour les annonceurs, à ne rémunérer le support publicitaire qu’en fonction des résultats de la campagne publicitaire (une pratique réservée presque exclusivement aux publicités en ligne). (...)

il s’agit, pour Pascal Chevalier et son « groupe média » de vendre à des annonceurs les audiences de ces « blogs, petits sites ou page facebook ». Autant de supports qui se financent par les espaces publicitaires que les annonceurs leur achètent via des sociétés comme Tradedoubling, à présent propriété de Reworld Media. Et autant de producteurs de « contenus » dont le groupe de Pascal Chevalier n’est effectivement pas propriétaire. Le discours tout à fait honnête de son président ne laisse donc aucun doute sur les activités du groupe Reworld Media : utiliser l’audience captée par des publications papier ou numériques pour la vendre aux annonceurs.

« Le publi-rédactionnel » poussé à l’extrême
Il s’agit bien sûr d’une activité standard pour un journal ou un groupe de presse dont le mode de financement est la publicité. Mais, dans la majorité des groupes de presse, cette logique entre en concurrence avec d’autres objectifs qui nécessitent de conserver une étanchéité au moins apparente entre les fonctions éditoriales et publicitaires. Qu’il s’agisse de stratégies d’influence ou de la contribution à « l’image de marque » d’un groupe industriel, le pôle commercial ne peut (pour l’instant) ouvertement prendre le contrôle éditorial de titres comme Le Figaro ou Le Monde par exemple. Cela n’empêche pas le premier de faire régulièrement la publicité, dans ses colonnes, pour les avions de chasse de son entreprise-mère le groupe Dassault [3], ni le second de produire de temps à autre d’authentiques articles publi-rédactionnels [4], c’est-à-dire de faire rédiger par ses journalistes des articles louangeurs sponsorisés par un annonceur [5].

Mais chez Reworld Media, il semble que la logique commerciale de (très) court terme ne rencontre aucune résistance : on investit dans une audience, et ce qu’on appelle « projet éditorial » désigne en fait la cohérence, du point de vue des annonceurs, entre les caractéristiques des publics de différentes publications qui proposent des espaces publicitaires. Et, de fait, il semble que les aspects journalistiques, déjà bien maltraités par l’encadrement de nombre de médias dominants, n’ait aucun droit de cité à la tête de Reworld Media (...)

On comprend donc la réaction hostile des journalistes des magazines français du groupe Mondadori à l’annonce de l’entrée en négociation avec Reworld Media pour la cession de ces magazines (...)

Dans un courrier adressé à la direction du groupe italien, l’intersyndicale écrit : (...)

"Marie France ou les titres Lagardère repris en 2014 par Reworld n’ont plus de rédaction. Des agences de production de contenu conçoivent et réalisent les magazines. Et les services transversaux sont largement externalisés. Il s’agit de faire des journaux sans journaliste et sans les métiers qui y sont habituellement associés.

"La quasi-totalité des salariés transférés par Lagardère chez Reworld ont été empêchés de faire leur métier, poussés dehors au bout de quelques mois. Les témoignages que nous avons recueillis font ressortir une grande brutalité managériale et un profond mépris pour la presse et les journalistes." (...)

Les pratiques de Reworld Media, orientées uniquement vers la satisfaction des annonceurs et dépouillées de toute ambition journalistique, même feinte, rendent flagrantes les conséquences dangereuses de la financiarisation des médias, que nous pointons et combattons régulièrement dans nos articles : mépris des journalistes et des conditions de travail nécessaires à la réalisation de leur travail, tromperie des lecteurs dont l’audience et les données personnelles sont en fait les produits commercialisés par Reworld Media auprès des annonceurs qui sont ses seuls clients, et parasitage de titres qui ont obtenu une certaine renommée, sans doute bientôt menacée par l’indigence de « contenus » publiés à la chaîne.

L’existence de Reworld Media, et la taille acquise par ce groupe en seulement 6 ans d’existence, montrent que cette financiarisation gangrène maintenant une très grande partie de l’espace médiatique.

Il semble essentiel de rappeler qu’il n’y a là aucune évolution naturelle ou inéluctable : les acteurs jouent dans le cadre des règles qui ont été mises en place par les pouvoirs publics au cours des dernières décennies. Il est donc possible de changer ces règles, d’enrayer la financiarisation des médias et d’instaurer un autre écosystème médiatique [8]. (...)