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Marianne.net
Roland Gori : « la psychanalyse n’est pas un guide des mœurs »
* Psychanalyste, fondateur de « l’Appel des appels », dernier livre paru : La Fabrique des imposteurs (Les Liens qui Libèrent), 21,50 euro.
Article mis en ligne le 7 février 2013

(...) Il faut cesser d’instrumentaliser la psychanalyse. La psychanalyse est d’abord et avant tout une méthode spécifique mise en acte dans une pratique clinique et dont les connaissances proviennent de cette expérience. Et comme le dit Freud, ce dont on n’a pas l’expérience il faut le taire. Alors les psychanalystes qui s’expriment pour ou contre la loi Taubira sur le mariage gay ou l’adoption par des couples homosexuels, je ne suis pas sûr qu’ils aient beaucoup d’expérience clinique à apporter en la matière. Pas davantage que la psychanalyse sauvage des hommes politiques, ces spéculations psychologisantes autour des projets de loi ne possèdent de validité scientifique.

La psychanalyse n’est pas un guide des mœurs et un ensemble de prescriptions morales. Il faut rompre avec cette tendance des « experts » à idéologiser la psychanalyse ou tout autre mode de connaissance.

(...) je ne vois pas pourquoi en tant que citoyen je devrais m’opposer au mariage des homosexuels. Pour moi cette revendication culturelle, comme celle de l’homoparentalité, se révèle plutôt comme le symbole d’une révolution des mœurs. Cela veut dire que le mot « couple » ou le mot « parent » sont en train socialement de changer de sens, comme ils ont d’ailleurs changé de significations au cours des siècles précédents et selon les structures de parenté des sociétés. (...)

Je crois que cette demande de reconnaissance sociale des couples
homosexuels et leur aspiration à l’adoption témoignent d’au moins deux choses : d’une part de l’augmentation croissante aujourd’hui des revendications des minorités quelles qu’elles soient, et d’autre part d’une laïcisation de plus en plus forte des institutions organisant l’existence des individus.

Cela veut dire à mon avis que la désacralisation du monde civil, son désenchantement religieux s’accroît et qu’en contrepartie de nouvelles figures s’imposent pour occuper ce vide laissé par la pulvérisation des figures traditionnelles de l’autorité. Sinon pourquoi y aurait-il un débat passionnel autour de ces questions ? Si ce n’est qu’elles mobilisent l’arrière-fond religieux des formes d’alliance et de parenté, qu’elles poussent en avant les questions laissées en suspens par l’effondrement des marques majeures de l’autorité. Donc en tant que citoyen et non pas en tant qu’expert je suis favorable au mariage gay et à certaines conditions à la possibilité de l’adoption. (...)

Quand je dis à certaines conditions, cela concerne les homosexuels comme les hétérosexuels. Je pense par exemple que nous restons trop agglutinés aux anciens modèles d’une conjugalité organisée autour d’un noyau du couple papa-maman auquel les enfants s’agrègent, plus ou moins séparés du reste de la famille et à distance des autres relations sociales. Si la loi maintenait cette illusion et devait favoriser pour les homosexuels le déni de l’altérité, de la différence, alors pour le coup on serait plus que jamais dans le semblant et dans l’imposture. L’hétérosexualité du couple ne garantit pas en lui-même l’existence de différences constitutives comme les différences de sexe et de génération par exemple, elle n’est pas davantage une garantie de socialisation des enfants. On oublie trop souvent que Platon suggérait que pour favoriser la citoyenneté républicaine ce ne soit pas les parents qui élèvent leurs enfants…

La fameuse loi du père, qui a donné à l’idéologie psychanalytique ses plus beaux fleurons, est une fonction au sens quasi mathématique du terme, un ensemble de règles permettant des opérations qui ne sauraient se confondre avec les personnages chargés de l’incarner à un moment donné. Donc là encore, ce n’est que dans l’après coup de l’expérience clinique et au cas par cas que l’on peut dire quelque chose, et non en amont de cette expérience pour servir la soupe idéologique de je ne sais trop quelle cause. (...)

ces problèmes éthiques, voire bioéthiques, ne doivent pas demeurer une affaire de spécialistes, faute de quoi on fabriquerait de l’imposture, mais que leur traitement doit faire l’objet de débats citoyens. Si nous voulons réinventer de nouvelles façons de vivre ensemble et de traiter ces problèmes éthiques, il est nécessaire de réhabiliter la parole, le débat et le récit des expériences de vie. Après quoi on pourrait toujours procéder à un référendum. Cela me parait d’autant plus indispensable que le système technicien aujourd’hui, accouplé à la religion du marché, menace l’humanité dans l’homme.