
Récit romanesque écrit à la première personne, Un délicieux canard laquais [1] raconte l’impertinence et les réussites journalistiques, mais aussi les lâchetés et les compromissions de L’Exemplaire, prestigieux hebdomadaire satirique parisien. Toute ressemblance entre L’Exemplaire et les journaux qu’a traversés l’auteur, ancien journaliste à L’Équipe et au Canard enchaîné, « ne serait qu’une totale, absolue et désolante coïncidence », prévient l’éditeur en quatrième de couverture.
(...) Quels messages ?
J’ai essayé d’exprimer deux choses essentielles. L’information est de plus en plus une marchandise que chacun s’accapare pour des raisons politiques, économiques, personnelles. J’ai voulu raconter la dérive monarchique des journaux de gauche, qui sont moins respectueux des conventions collectives que ceux de droite. On ne signe jamais de contrat de travail au Canard enchaîné... Ce qui est parfaitement légal, le bulletin de salaire faisant office de contrat. J’occupais la fonction de patron de l’édition, mais sur ma fiche de paie figurait la simple mention journaliste. Pour justifier cette anomalie, la direction m’a expliqué que mon service était en auto gestion. Un service composé de trois anciens élèves d’une école que j’avais recrutés. La hiérarchie ne faisait donc aucun doute. On était loin de l’autogestion.
Des pratiques sociales peu exemplaires en somme...
À L’Exemplaire comme au Canard enchaîné, il n’y a ni délégués du personnel ni comité d’entreprise, pourtant obligatoires dans une société de plus de 50 salariés. Une des premières scènes du roman relate les velléités de révolte d’un journaliste lassé par l’esprit de cour de la rédaction et l’omnipotence du directeur. Mais cette grande gueule du journal, effrayée par sa propre audace, se déballonne et renonce à se porter candidat à une quelconque élection. Cette scène est inspirée d’une réunion des actionnaires du Canard au cours de laquelle un journaliste a pris la parole pour demander si on pouvait procéder à des élections de délégués du personnel. Michel Gaillard a répondu : « Si vous faîtes ça, ce sera la bombe atomique ». Résultat, il n’y a jamais eu d’élection de délégués.
Le Canard enchaîné passe pourtant pour être un des journaux qui paie le mieux ses salariés.
Les anciens sont très bien payés, les nouveaux de moins en moins. Refusant de réengager au même prix, la direction a progressivement opéré une révision générale des salaires (...)
On touche du doigt un des principaux problèmes du journalisme en France, où les classes sociales privilégiées sont ultra représentées dans les rédactions. Des journalistes souvent issus d’écoles dont les droits d’entrée peuvent facilement atteindre les 7000 euros. Ce qui peut expliquer le manque d’intérêt pour certains sujets. (...)
Même si une sérieuse révision générale s’impose, même si le fait de conserver le même directeur depuis 22 ans n’est pas forcément une bonne idée, et même si Le Canard n’est pas le journal le plus démocratique du monde, il reste indispensable à la presse française. Exemplaires à plus titre, les pages trois et quatre, où paraissent les enquêtes, constituent une référence, un contre modèle à l’air du temps. (...)