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Libération
Ron Cahlili : « En Israël, les juifs français sont renvoyés à leur "arabité" »
Article mis en ligne le 25 février 2018

Le journaliste israélien a réalisé un documentaire sur la situation des juifs français, pour la plupart séfarades, ayant fait leur « alyah » dans la dernière décennie. Il dénonce les préjugés dont ils sont victimes, sans cesse renvoyés à leurs origines nord-africaines. Pour lui, cette discrimination est un des grands tabous du pays.

Fils d’immigrés égyptiens, Ron Cahlili, 59 ans (photo DR), se définit comme « un homme de gauche et activiste mizrahi », nom donné en Israël aux juifs « orientaux », victimes de discrimination à leur arrivée en Israël dans les années 50 et 60. (...)

ce touche-à-tout (par ailleurs romancier jeunesse, homme de radio, éphémère patron d’une chaîne télévisée mizrahi) vient de signer pour la chaîne publique israélienne Kan11 une série en trois épisodes consacrée à l’alyah(littéralement la « montée » vers la Terre sainte, soit l’immigration en Israël) des juifs français. Selon plusieurs études, entre 10 et 30 % de ces olim (nouveaux arrivants) feraient demi-tour au bout d’un an. Ceux qui restent sont régulièrement la cible de préjugés, dans le monde du travail ou les médias, réduits au rôle de « Marocains à gourmettes », comme le dit un interviewé du documentaire. Pour Ron Cahlili, c’est là que résident les racines de cette alyah douloureuse : ces nouveaux Israéliens sont vus par leurs compatriotes comme des « tsarfokaim »,expression qui donne son titre à sa série, traduite ainsi : « Un peu français, très séfarades ». Une façon de les renvoyer à leur « arabité », et d’en faire les victimes d’un racisme qu’ils ne s’attendaient pas à éprouver. (...)

ils sont « marqués » dès leur arrivée. Ils découvrent qu’ils appartiennent à cette catégorie humiliante dédiée aux immigrants juifs originaires des pays musulmans, une « case » inventée par l’establishment sioniste dès la création de l’Etat d’Israël. Car le mot mizrahim a mis dans le même sac - et un sac peu enviable ! - l’intellectuel du Caire, le bourgeois de Bagdad, l’érudit de Casablanca ou l’orfèvre de Sanaa pour les réduire en un seul archétype : le juif ignorant, vulgaire, parasite, sans idéologie et sans passé. Qui a besoin d’être réhabilité et assisté, pour qui il faut créer des villes propres, appelées alors « villes de développement », des écoles de catégorie inférieure consacrées essentiellement à la formation professionnelle les destinant au travail en usines. A ce jour, il reste un énorme écart entre les mizrahim et les Ashkénazes, dans presque tous les domaines : l’éducation, les salaires, l’emploi, la représentativité, les zones d’habitation, etc. Ce n’est plus aussi net que dans les années 50, mais les écarts sont là. (...)

En Israël, il existe une psychose terrible envers « l’arabité ». Cette psychose est tellement pathologique qu’elle permet à l’Israël moderne de fouiller la génétique des immigrés venus de France pour y chercher des restes d’« arabisme » (...)

Selon une étude récente, près d’un quart de la population israélienne est convaincue que les olim français sont « vulgaires », « sans-gêne », « radins », « religieux-pratiquants », « de droite »… Bref, tous les préjugés accolés généralement aux mizrahim. (...)

La plupart des immigrés français avec lesquels j’ai parlé, qu’ils soient colons en Cisjordanie ou riches habitants de Tel-Aviv et Netanya, religieux ou laïcs, venant de Paris ou de Marseille, tous aiment infiniment Israël, sans aucun cynisme, sans l’ombre d’une critique. A leurs yeux, Nétanyahou est le roi ultime d’Israël, leur admiration en est embarrassante. Pour eux, immigrer en Israël, c’est vivre dans la peau du roi David. Leurs propos sur Israël me rappellent les discours de mes parents, presque messianiques, mystiques. Ils se préoccupent peu de l’occupation. (...)

Les médias et l’establishment israélien n’aiment pas parler des ethnies. Le traitement des mizrahim reste le problème le plus refoulé de la société israélienne, c’est « le génie dans la bouteille ». On met en garde les intellectuels et les militants : libérer ce mauvais génie risque d’instaurer le chaos. La société israélienne, qui est assez jeune, serait alors décomposée. Le ciment qui la maintient n’est pas assez robuste. (...)