Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Médiapart
Sahara occidental : le Maroc ouvre les vannes migratoires pour faire pression sur l’Europe
Article mis en ligne le 19 mai 2021

Pour faire pression sur le dossier du Sahara occidental, le Maroc a ouvert les vannes migratoires. En 24 heures, quelque 8 000 migrants ont rejoint l’enclave de Ceuta. Le chef du gouvernement espagnol parle d’« une grave crise pour l’Espagne et pour l’Europe ».

Considérés par les Marocains comme des « villes occupées », Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles sur la côte au nord du Maroc, constituent les seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique. Depuis des décennies, le Maroc accepte de jouer le gendarme ultra-répressif de la forteresse Europe dans la lutte contre l’immigration clandestine, mais lundi 17 mai, il en a décidé autrement.

Il a ouvert dans la nuit du dimanche au lundi les vannes migratoires et fait déferler 8 000 migrants, majoritairement marocains, sur Ceuta. Dès l’aube, puis tout au long de la journée, devant une police marocaine passive ou aux abonnés absents, une marée humaine – des jeunes hommes, des femmes, des enfants, des familles entières – a investi ce petit bout d’Europe en Afrique, en arrivant à pied par la plage, par la mer, avec parfois des bouées gonflables ou des canots pneumatiques, ou par la montagne. (...)

Le chef du gouvernement socialiste espagnol, Pedro Sanchez, qui fait face à l’instrumentalisation de la crise par l’extrême droite, a annulé un déplacement en France (au sommet sur le financement des économies africaines) pour se rendre mardi 18 mai à Ceuta en sapeur-pompier et promettre de « rétablir l’ordre ». Avec le soutien des dirigeants européens tel le président du Conseil Charles Michel. Dans la soirée, l’Espagne annonçait avoir renvoyé dès le lendemain au Maroc environ 4 000 des 8 000 migrants, selon le ministre de l’intérieur espagnol, Fernando Grande-Marlaska. (...)

Inédite par son ampleur et par les images impressionnantes qu’elle laisse, cette vague humaine est l’acmé d’une crise diplomatique profonde entre deux pays voisins qui accumulent les litiges sur le statut des enclaves colonisées, les ressources naturelles, la pêche... Mais une goutte d’eau a fait déborder le vase de l’autre côté de la Méditerranée : le Sahara occidental, la cause sacrée du Maroc.

En accueillant, fin avril, dans un hôpital de Logroño, au nord de la péninsule, le chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, l’Espagne a suscité l’ire du Maroc. Venu se soigner d’une forme grave du Covid-19 et d’un cancer, le septuagénaire, honni par le pouvoir marocain, est arrivé en Espagne en catimini à bord d’un avion médicalisé affrété par la présidence algérienne et avec un passeport diplomatique établi sous une fausse identité. De quoi aggraver encore la colère de Rabat (...)

Pour imposer sa souveraineté sur le Sahara occidental, le Maroc ne craint pas de mettre en danger la relation bilatérale avec son premier partenaire commercial, celui là-même qui avait colonisé ce vaste territoire désertique jusqu’en 1976, au cœur d’un conflit politique et militaire encalminé, qui a fait près de 1 000 morts au cours des quinze dernières années.

Entre le Front Polisario, qui entend représenter le peuple sahraoui et se bat, les armes à la main, avec le soutien de l’Algérie, pour revendiquer l’autodétermination, et l’armée marocaine, qui défend la marocanité du territoire, un cessez-le feu a été conclu sous l’égide de l’ONU en 1991.

Rabat attend aujourd’hui que l’Europe marche dans les pas de l’ancien président américain Donald Trump qui dans une embardée de fin de mandat, a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange d’une normalisation des relations du royaume chérifien avec Israël. (...)

Tous les moyens de pression semblent bons pour le Maroc pour arriver à ses fins y compris utiliser la détresse, aggravée par une année de pandémie, des candidats à l’exil prêts à brûler leur vie pour rejoindre l’eldorado européen (...)

Si la France est encline en coulisses à un Sahara marocain mais sans l’admettre officiellement tant le dossier est explosif (l’annonce par le comité local du parti présidentiel LREM d’ouvrir une antenne à Dakhla, au cœur de ce territoire disputé, avait rendu furieux Alger qui avait fait annuler à la dernière minute la visite du premier ministre Jean Castex en Algérie le 12 avril dernier), l’Allemagne n’est pas du tout pour et elle l’a dit haut et fort. Elle a critiqué la décision américaine, ce qui a fortement déplu au Maroc qui en retour, a suspendu le 1er mars ses relations diplomatiques avec Berlin.

Les Allemands ont retenu la leçon. Pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu, ils ont refusé catégoriquement d’accueillir dans leurs hôpitaux, début mai, l’indépendantiste sahraoui Brahim Ghali. Les Algériens souhaitaient que l’encombrant patient, ennemi du Maroc, bénéficie de la même qualité de soins que leur président Abdelmadjid Tebboune rescapé d’un Covid grave qui a séjourné près de trois mois dans une clinique en Allemagne. L’avion privé s’est ainsi finalement rabattu sur l’Espagne...