
Mediapart a enquêté sur les douze agriculteurs directement raccordés à la mégabassine de Sainte-Soline. Ces exploitants, qui possèdent de grandes surfaces, veulent coûte que coûte maintenir leurs rendements, en répondant aux exigences de l’agro-industrie.
Tout ça pour qui ? Telle est la question qui se pose après le dispositif policier hors norme déployé le 25 mars, jour de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), et ses conséquences terribles en termes de blessés.
La seule information diffusée par les autorités publiques est que douze agriculteurs bénéficieront directement de l’infrastructure d’irrigation – dans un contexte de changement climatique qui aggrave les sécheresses, et alors qu’en France la ressource en eau a diminué de 14 % entre la fin des années 1990 et la dernière décennie.
Mais ni la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres ni la Coop de l’Eau 79, structure porteuse du projet, ne communiquent sur qui sont ces agriculteurs, quelle est la nature de leurs exploitations, et encore moins à quelles cultures servira l’eau de la mégabassine. (...)
« Nous faisons face à une opacité totale quant au projet », se désole Julien Le Guet, figure de la contestation antibassine. Membre du comité scientifique qui accompagne le suivi du protocole scellant la création de la retenue de Sainte-Soline, le chercheur Vincent Bretagnolle confirme : « Concernant les exploitants connectés à cette bassine, un diagnostic a été réalisé, mais il n’a pas été communiqué au comité scientifique. Nous ne savons pas ce que cultivent aujourd’hui ces irrigants. Seule la Coop de l’eau 79 a ces données… »
La chambre d’agriculture locale, établissement public placé sous la tutelle de l’État, n’a transmis à Mediapart que des informations d’ordre général sur les agriculteurs irrigants du territoire.
Quant à la Coop de l’eau 79, alors que la mégabassine est financée à hauteur de 70 % par de l’argent public et que son but est de stocker une ressource commune, elle n’a jamais répondu à nos multiples sollicitations.
Des exploitations sous perfusion d’argent public
D’après des données de la chambre interdépartementale d’agriculture, les douze agriculteurs connectés à la mégabassine ont une exploitation qui mesure en moyenne 147 hectares. Des tailles d’exploitation plus grandes que la moyenne française, estimée à 69 hectares, et à la moyenne du département, qui est de 89 hectares. (...)
Sept des douze agriculteurs investis dans la mégabassine de Sainte-Soline sont des céréaliers. Les cinq autres sont éleveurs bovins, caprins ou ovins. (...)
Au total, ils ont bénéficié, pour l’année 2021, de près d’un demi-million d’euros d’aides publiques européennes – selon des données du ministère de l’agriculture. Des subventions qui, politique agricole commune productiviste oblige, sont en grande partie indexées au nombre d’hectares cultivés.
Aucune des douze exploitations n’est en agriculture biologique. Les agriculteurs se sont engagés dans le cadre du protocole d’accord actant la création d’une quinzaine de mégabassines, dont celle de Sainte-Soline, de réduire l’épandage de pesticides.
Mais le chercheur Vincent Bretagnolle a assuré à Mediapart : « Il ne nous a jamais été retourné un quelconque bilan chiffré ni même qualitatif de l’usage des produits phytosanitaires par les irrigants. La seule information dont nous disposons, et qui nous a été communiquée à ma demande, est que sur quarante exploitants qui ont signé leur engagement, seuls trois, à titre individuel, se sont engagés dans une réduction des traitements phytosanitaires. »
Selon lui, l’objectif de réduction de 50 % des pesticides ne sera pas tenu par les irrigants concernés par le projet.
L’hydrologue Florence Habets a pour sa part affirmé dans un entretien donné en décembre à Mediapart : « Les agriculteurs s’étaient engagés à s’orienter vers des pratiques plus écologiques afin de limiter la pollution des eaux. Cette partie cependant ne fonctionne pas très bien : la qualité de l’eau n’est pas au rendez-vous. »
Des agriculteurs discrets, mais influents (...)
En croisant les futurs points de livraison d’eau connectés à la mégabassine et des bases de données géographiques agricoles de 2020 et 2021, Mediapart a estimé, sur les parcelles dotées prochainement d’une pompe à eau, qu’environ 30 % d’entre elles comportaient du maïs et que deux tiers des parcelles étaient occupées par du blé tendre d’hiver, en rotation avec d’autres cultures notamment du pois et de l’orge – sachant que de ces points de livraison d’eau pourront être tirés des tuyaux pour irriguer d’autres parcelles.
L’eau stockée par la mégabassine de Sainte-Soline servira à répondre aux exigences du marché. (...)
« Pour avoir dans le blé ces protéines demandées par les coopératives et meuneries industrielles, les agriculteurs épandent du nitrate, détaille Benoît Jaumet. Si vers mai-juin, il n’a pas plu, le blé peut mourir d’overdose d’engrais. D’où la nécessité de sécuriser l’eau par les mégabassines. C’est une béquille au modèle agro-industriel. » (...)
« Pour avoir dans le blé ces protéines demandées par les coopératives et meuneries industrielles, les agriculteurs épandent du nitrate, détaille Benoît Jaumet. Si vers mai-juin, il n’a pas plu, le blé peut mourir d’overdose d’engrais. D’où la nécessité de sécuriser l’eau par les mégabassines. C’est une béquille au modèle agro-industriel. » (...)
La rentabilité comme boussole (...)
« L’imaginaire que nous martèlent ces agriculteurs comme les coopératives agro-industrielles, c’est qu’ils nourrissent le monde. Mais ils nourrissent avant tout leur portefeuille. »