
Avec la victoire de Yannick Jadot au second tour de la « primaire de l’écologie », le 28 septembre, une séquence médiatique s’est achevée : celle consacrée à la candidature de Sandrine Rousseau, membre d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) et militante féministe. Pendant plusieurs semaines, elle a fait l’objet de nombreux articles, interviews, débats et reportages. Qualifiée de « harpie » par Valeurs Actuelles, de « Greta Thunberg ménopausée » sur un plateau de CNews – entre autres joyeusetés – Sandrine Rousseau a subi une véritable campagne de disqualification, insultes sexistes à l’appui. Preuve du vent de panique qui s’est emparé des chefferies éditoriales face à la montée du « camp de la déraison » (L’Express).
De Marianne à Valeurs Actuelles, en passant par Le Point, Le Figaro mais aussi Le Canard Enchaîné, on fustige son « wokisme », son discours « victimaire » (interview de Raphaël Enthoven, L’Express, 8/09), sa radicalité et son féminisme « déplacé » (Thomas Legrand, le 6 septembre sur France Inter, à propos de sa prise de parole contre la nomination comme ministre de l’Intérieur de Gérald Darmanin lors du premier débat de la primaire) qui « l’emporte sur la démocratie » (L’Express, 28 septembre).
Le 18 septembre, Arrêt sur images réalisait un « tour d’horizon du vocabulaire (et des œillères) médiatiques » à ce propos, dont nous reprenons ici quelques perles.
Face à l’irruption de Sandrine Rousseau dans le débat public et sa qualification au second tour de la primaire, aucune méthode de disqualification ne lui sera épargnée : focales sur ses « petites phrases » dites « polémiques » et psychologisation de son combat politique tracent les grandes lignes. A contrario, ses propositions (passage aux 32h, mise en place d’un revenu d’existence, création d’un crime d’écocide, etc.) ne sont pas (ou si peu) discutées. Dans une émission d’Arrêt sur images, diffusée le 20 août, la candidate avait anticipé le phénomène : « Je ne suis absolument pas reconnue comme une femme politique, ou comme une femme ayant mené des combats politiques ayant permis de faire avancer la société. Je ne suis pas reconnue comme autre chose qu’une femme ayant parlé de son vécu personnel. » (...)
Misogynie et caricature
Ces dernières semaines, la candidate a essuyé rappels à l’ordre (« Attention, c’est la victimisation qui revient au galop », l’interpelle Sonia Mabrouk au micro d’Europe 1, lors d’une interview-interrogatoire) et insultes sexistes. Les médias réactionnaires ont bien sûr été au rendez-vous. (...)
les médias réactionnaires n’ont-ils pas eu le monopole de la morgue ou de la disqualification. Libération notamment, peut se prévaloir d’avoir publié un chef d’œuvre signé Coco (repéré par Arrêt sur images), n’ayant rien à envier aux brûlots d’extrême droite, puisque la dessinatrice résume le programme politique de Sandrine Rousseau à… des pleurnicheries (...)
« Victime, forcément victime : c’est un artifice médiatique qui se porte bien » synthétisera avec mépris Éric Mandonnet dans L’Express (21/09). Dans la même veine, l’élue écologiste de Paris et militante lesbienne Alice Coffin, soutien de Sandrine Rousseau dans cette primaire, essuie les remontrances de Sophia Aram sur France Inter (27/09). Attrapant une petite phrase au vol, Aram la qualifie de personne « en vrac » à la « grille de lecture toute pétée ». On n’en attendait pas moins d’une humoriste dégainant l’insulte plus vite que son ombre. Enfin, Le Canard Enchaîné ne résiste pas à recourir à l’épouvantail médiatique du moment, en qualifiant Sandrine Rousseau d’« adepte du wokisme » dans un article intitulé « Bienvenue au Wokistan ! » (29/09). L’ordre social est bien gardé.
Ce traitement médiatique, souvent empreint de misogynie, presque toujours disqualifiant, n’a rien d’étonnant tant les médias dominants ont pris l’habitude de circonscrire le champ des possibles. À leur gré, ils adoubent ou récusent les candidats politiques. Trient entre les « crédibles », les « raisonnables » et les autres, ceux qui tentent de subvertir, de près ou de loin, l’ordre médiatique et social tel qu’il va.
L’édito et l’opinion ayant remplacé l’enquête, il n’est pas étonnant que les grands médias aient été pris de court (encore une fois). Car pour nombre d’entre eux, qui pariaient de longue date sur Éric Piolle et Yannick Jadot, la qualification de Sandrine Rousseau au deuxième tour de la primaire fut une (mauvaise) « surprise » : « Sandrine Rousseau, la surprise radicale et féministe de la primaire écologiste » (France 24, 20/09), « Quotidien ++ 2022 : la surprise Sandrine Rousseau » (TMC, 26/09), « Primaire écologiste : qui est Sandrine Rousseau, qualifiée surprise pour le second tour ? » (France Info, 19/09). C’est Caroline Roux, dans « C dans l’air » (France 5, 20/09), qui résume le mieux le point de vue médiatique :
Parler fort, aligner les polémiques et les propositions choc, ce début de campagne fait la part belle à ceux qui assument une ligne dure. Chez les Verts, c’est Sandrine Rousseau qui crée la surprise en se qualifiant pour le second tour de la primaire. L’économiste se revendique féministe, racialiste [sic], défend une transition écologique radicale, veut augmenter la taxe carbone et créer un crime d’écocide.
On cherche toujours la trace d’un écrit ou discours dans lequel Sandrine Rousseau se revendiquerait « racialiste »… Lapsus révélateur ? Et la fine analyste Caroline Roux de poursuivre : « À l’autre bout de l’échiquier politique, Éric Zemmour poursuit sur sa lancée avec une tournée de promo de son livre qui prend des allures de meeting politique. » (...)
La boussole politique des journalistes n’indiquant plus le Nord depuis bien longtemps déjà, ces derniers n’hésitent donc pas à renvoyer dos à dos Sandrine Rousseau et Éric Zemmour. « Elle joue le même rôle qu’Éric Zemmour avec la droite », analysait subtilement Valérie Astruc, cheffe-adjointe du service politique de France Télévisions dans « Les Informés » (...)
Même combat, même traitement pour Alice Coffin : « Vous êtes le pendant exact d’Éric Zemmour », lui lançait la journaliste Natacha Polony sur un plateau de BFM-TV (...)
Alors forcément, le 28 septembre, c’était jour de fête. Quand les résultats de la primaire donnent Yannick Jadot victorieux, on peut entendre des soupirs de soulagement : « Primaire écologiste : l’âge de raison » titrent Les Échos (29/09), tandis que sur BFM-TV, on félicite un « signe de maturité » et un « choix de la raison ». Yves Calvi jubile :
- Ce choix n’est pas neutre car il crédibilise une candidature centriste, autrement dit une écologie du possible.
- Yannick Jadot porte une candidature crédible, un choix de raison auquel la mouvance écologiste verte ne nous avait pas habitués.
(...)
Dès lors, Sandrine Rousseau et ses soutiens sont sommés de se ranger derrière le vainqueur. Yves Calvi tient à s’en assurer, ironisant face à la militante Alice Coffin en duplex : « Alice Coffin, vous aviez lancé un vibrant hommage à Yannick Jadot pour qu’il se retire, est-ce que vous allez le soutenir ? » Et d’enfoncer le clou : « Donc vous êtes derrière lui, et vous soutenez sa candidature à l’élection présidentielle avec toute l’énergie dont vous êtes capable ? » (...)
Insultes sexistes et misogynes, rappels à l’ordre, disqualification… face à la candidature de l’écoféministe Sandrine Rousseau, arrivée au second tour de la « primaire écologiste », les médias dominants n’ont pas démérité. Ils se sont même surpassés, pour bon nombre d’entre eux : les « petites phrases » de la candidate et de ses soutiens ont été passées au crible, sa personnalité disséquée et son combat, réduit à des questions de psychologie... Au détriment du fond de ses propositions politiques. Encore une fois : misère du journalisme politique.