
Haro sur les blocages, les grévistes et les syndicats qui y participent ! « Inacceptable », clame le gouvernement, « irresponsable », hurlent en cœur les éditorialistes des médias appartenant aux grandes fortunes françaises. C’est vite oublier que sans grèves ni blocages, nos démocraties n’auraient pas connu un tel progrès social, depuis plus d’un siècle.
« Depuis l’invention de la grève générale en 1842, le blocage des approvisionnements énergétiques s’est maintes fois révélé une force des faibles, une arme du mouvement social et une fête émancipatrice... », rappelle l’historien des sciences Christophe Bonneuil dans cette tribune.
Angleterre, été 1842. Devant le refus des capitalistes d’augmenter les salaires alors que le coût de la vie s’envole, de réduire la durée du travail, et devant le refus du gouvernement de donner suite à une pétition de 15 000 signataires en faveur du suffrage universel – pétition qui dépassera ensuite les trois millions –, un immense mouvement social naît en mai de cette année-là : la première grève générale du monde. « Bloquer … c’est inacceptable », s’indignent le Premier ministre, les patrons et la presse des privilégiés.
France, mai 2016. Sourd à une pétition de plus d’un million de signataires, aux syndicats et au parlement qu’il balaye d’un coup de 49-3, autiste à la colère d’une jeunesse qui se remet « debout », Manuel Valls déclare que « bloquer … c’est inacceptable et on ne peut pas bloquer un pays… s’en prendre ainsi aux intérêts économiques de la France ». Il oublie que sans la grève, le sabotage, le blocage, et les luttes sociales depuis le XIXe siècle, nous en serions encore aujourd’hui au monde de Dickens et Zola, du travail des enfants et du suffrage censitaire.
Loi travail : « un retour au capitalisme sauvage du XIXe siècle ? » (...)
Comme le note un journal de l’époque, les mineurs avaient compris « le pouvoir qui était entre leurs mains de stopper tous les moulins, les usines et les trains ». En bloquant l’extraction et le transport de charbon pendant plusieurs semaines, les travailleurs réussissent en effet à mettre à l’arrêt les usines qui ne sont pas en grève, avant d’être suivis peu après par une grande grève des ouvriers textiles. Certains affirment : « mieux vaut mourir face à l’armée que de mourir… sous la machine du capitaliste » [1].
Cette Loi travail que le gouvernement et le Medef prétendent imposer à coup de 49-3 et de répression du mouvement social, n’est-elle pas précisément un retour au capitalisme sauvage du XIXe siècle ? Celui que des socialistes authentiques combattirent par le passé. Celui qui fut rendu en France moins invivable au XXe siècle : retraite, médecine du travail (affaiblie par l’actuel projet de loi), interdiction du travail des enfants (la première version de la loi rétablissait des journées de 10h pour les apprentis mineurs !), démocratie sociale insérant les citoyens (via le parlement et le code du travail, que le socialisme patronal détricote à présent) et les syndicats dans la décision (via la primauté des accords de branche que l’article 2 du projet supprime, livrant les salariés au chantage patronal à l’emploi même quand l’entreprise dégage de juteux bénéfices !). (...)
Cette régulation relative du capitalisme qui s’institutionnalise en Europe au milieu du XXe siècle n’aurait pu advenir sans le pouvoir de blocage énergétique des travailleurs (...)
Bloquer serait aujourd’hui illégitime ? Alors que des millions de travailleurs pauvres sont en galère, sous le chantage du chômage de masse, et que le poids du patrimoine privé par rapport à la richesse nationale après avoir diminué après 1945, est maintenant revenu en France au niveau du temps de Zola [3] ?
Non !
Jour debout et nuit debout, la grève, le blocage des sites de production et l’occupation des places sont la dernière arme des victimes d’un système économique injuste, d’un capitalisme ré-ensauvagé ; la contre-offensive des sans-voix d’un système politique à bout de légitimité (inégalités croissantes, démocratie représentative qui ne représente pas le pays réel, parlement godillot, état d’urgence permanent).