
Nous avons appris le jeudi 10/11/2011 que Sarkozy viendrait à la Caf de Bordeaux le mardi 15/11/2011. Un préavis de grève doit être de 5 jours ouvrés. Nous n’avons donc pas pu en poser un.
Quoiqu’il en soit, sans pouvoir faire grève et manifester en grand nombre, on pouvait malgré tout prévoir un mouvement entre syndicalistes, c’est déjà pas si mal !
Le dimanche soir une journaliste de sud ouest m’appelle pour savoir ce que nous préparons, je lui réponds que nous sommes pris un peu de court et que nous ne savons pas déjà ce que nous organiserons mais nous écrivons une lettre à Sarkozy pour lui exposer notre point de vue sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales.
Dès le lendemain matin, apparaissait un petit encart dans sud ouest précisant que la Cgt à la Caf de bordeaux préparait sa lettre à Sarkozy.
Je pense que ces deux lignes ont suffit à générer l’inquiétude et/ou la curiosité du service d’ordre de Sarkozy.
Du coup, j’ai été convoquée 5 ou 6 fois dans la journée du lundi (veille de la visite) dans le bureau du directeur de la Caf pour y rencontrer le sous préfet de région, le chef de la sécurité présidentielle, le directeur de cabinet de je-ne-sais-plus-quel ministre etc.
Incroyable, ils ont essayé à peu près toutes les approches, cordiales, autoritaires, méprisantes, puis à nouveau de bon ton en espérant que l’on puisse s’entendre et surtout en espérant qu’on leur dise ce que nous préparions.
Honnêtement, au début j’étais un peu amusée par ce spectacle et puis peu à peu, en plus d’être en colère, je me suis trouvée un peu intimidée craignant je ne sais quel excès de leur part durant notre manif du lendemain. Alors, sans rien dévoiler de ce que nous ferions, j’ai quand même calmé le jeu en rappelant que nous n’avions pas pu poser de préavis de grève, qu’il n’y avait donc pas de mot d’ordre de la Cgt vis à vis des collègues. A la Caf, nous sommes une majorité de femmes, nous sommes dans un secteur d’activité où les gens sont souvent plus calmes que des métalos ou des cheminots ! J’ai rappelé au directeur qu’à la Cgt nous sommes responsables et légalistes et que du même coup il n’y avait pas à craindre de nous quoique ce soit de dangereux ou d’irrespectueux. A partir de là, il m’était plus facile de leur rappeler que le droit syndical existe et doit être respecté. C’est notre droit d’exprimer nos contestations et de choisir nos modes d’expression pour les porter.
Au fil des entretiens, ils essayaient de trouver un compromis. Jusqu’à me dire que si je leur disais ce qui était prévu le lendemain, on pourrait s’arranger pour que ça se fasse dans les meilleures conditions. Du coup, je les ai pris au mot en leur demandant alors de nous laisser faire une manif de 150 personnes devant l’entrée de la Caf. A quoi, il m’a été répondu que ce serait impossible ! (ça je m’en doutais). Donc, j’ai laissé un peu ma colère s’exprimer pour leur rétorquer, durant le dernier entretien (lundi vers 18h), que je comprenais que ces entretiens servaient juste à intimider la Cgt pour lui interdire de s’exprimer ! Ce que je trouvais condamnable et inacceptable dans une démocratie ! Le chef de je ne sais quoi, me redis qu’il voulait juste savoir ce que nous ferons le lendemain. A quoi je lui ai répondu :
vous verrez demain !
Et là, une idée de génie lui vient, à la place de faire une manif, il me propose de rencontrer Sarkozy lors « d’un entretien informel », comprendre que lors de son passage dans les bureaux de la Caf, il me croiserait dans un couloir pendant 20 secondes. J’ai évidemment refusé. Et c’est reparti avec les questions et le mépris. Et pourquoi vous préférez agiter une banderole plutôt que de développer vos arguments ? C’est pourtant des propositions que d’autres acceptent (là, c’est notamment FO qui a accepté à la Caf). Pourquoi vous vous entêtez etc.
Je suis rentrée chez moi le lundi soir, j’étais crevée
Le mardi matin 7h30.
Avec les collègues de la Cfdt puisque c’est un mouvement que nous avons porté ensemble, nous nous sommes retrouvés devant l’entrée du personnel avec la lettre que nous avions rédigée et décidé de remettre à Sarkozy par l’intermédiaire du directeur de la Caf.
Nous l’avions tirée sous forme de tract et on la distribuait aux collègues au fur et à mesure de leur arrivée au bureau. (pour info l’arrivée de Sarkozy était prévue à 11h).
J’ai été à nouveau « alpaguée » par le sous préfet qui m’a retenue encore un quart d’heure pour savoir ce que nous allions faire après et pour me reproposer la rencontre informelle. Une nouvelle fois j’ai dû batailler pour qu’il me lâche et me laisse rejoindre mes collègues.
Vers 10h, on avançait (un petit groupes de 25 personnes juste des élus syndicalistes sur leurs heures syndicales) avec des drapeaux de la Cgt et de la Cfdt vers l’entrée principale de la Caf.
Evidemment, on a été stoppés bien avant l’entrée, donc bien avant d’être visible du public. En revanche, les collègues pouvaient nous voir des fenêtres des bureaux. (plusieurs ont pris des photos). Une cohorte de flics s’est avancée, on nous a demandé de nous installer plus loin sur le parking des salariés (toujours visible des fenêtres des bureaux). Puis, vers 10h45, 30 flics nous ont entourés, et demandés de les suivre. On n’avait pas d’autre choix que de les suivre !
Ils nous ont alors parqués derrière le bâtiment du self, invisibles de tous, près des poubelles des cuisines, sur un espace d’environ 15 ou 20 m² où nous avons été retenus pendant 2 heures. Nous n’avons pas eu le droit de regagner nos locaux syndicaux (qui sont à 10 m de cet endroit là) ni d’aller aux toilettes, ou chercher un verre d’eau…On nous a relâchés 10 mn après le départ de Sarkozy. Durant ces 2 h, on a vu à un moment un journaliste de France 3 s’approcher puis repartir aussitôt après avoir parlé quelques secondes avec un flic. Heureusement, c’est celui là qui est revenu vers 15 h pour faire l’interview.
Pour conclure, nous avons vécu un moment unique, qui nous a scandalisés par certains aspects mais aussi regonflés. On en sort renforcés. Depuis, nous avons fait un tract commun avec la Cfdt pour raconter cette journée et un diaporama sur l’intranet de la Caf (chaque syndicat à un portail intranet) avec nos photos. Beaucoup de collègues depuis nous ont félicité d’avoir fait ce mouvement et sont contents de nous avoir vu à la télé.
Ce que je retiens aussi, c’est les collègues qui parlent avec Sarkozy du bébé et d’allaitement pendant que nous étions « gardés à vue ». Il m’apparaît évident que l’absence de conscience politique facilite la vie des politiciens les plus « tyranniques ». ça m’aide à recentrer le débat et le combat autour des sujets essentiels, et mes collègues de la Cgt sont plein d’idées et d’énergie pour retrouver un vrai militantisme de terrain. Peut-être qu’à force de rencontres dans les instances (délégués du personnel, comité d’entreprise, conseil d’administration…) on oublie une partie du terrain, c’est bien de s’y être retrouvés.
Derniers points, la pression que j’ai subie est à la hauteur de la paranoïa de Sarkozy mais aussi à la hauteur de la force de la Cgt. Ils ont appelé le secrétaire de région et la secrétaire de l’union départementale pour leur demander de me dissuader de faire une manif ou tout autre chose.
En retour l’U.D. va écrire une lettre à notre directeur pour lui faire part de leur colère de voir comment on a traité la déléguée syndicale de la Caf. Et les administrateurs Cgt des conseil d’administration de la Caf, de la Cpam, de la Carsat (retraites) et de l’Urssaf, vont faire une déclaration commune pour dénoncer ces pratiques policières et liberticides.
Bon, c’est vrai qu’elle est forte la Cgt !