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Si vous voulez savoir ce qu’est vraiment un bidonville
Article mis en ligne le 18 novembre 2017
dernière modification le 17 novembre 2017

En France, cette forme de logement est largement décriée, associée uniquement à l’indigence et à la pauvreté. Pourtant, s’y développent une inventivité et des ressources qui seraient bénéfiques à celles et ceux qui y habitent.

Que sait-on au juste des bidonvilles ? En Europe, ce que l’on sait surtout c’est que l’on n’a pas envie de savoir. L’imaginaire qui leur est associé déclenche la solidarité ou la fureur de ceux qui vivent à proximité, et l’oubli des urbains qui n’y sont pas confrontés. Les bidonvilles constituent une sorte d’angle mort de nos connaissances, se contentant de nourrir une angoisse diffuse sur les migrations dues aux chaos du monde, sur l’errance et la précarité absolue, sur les destins improbables qu’ils sous-entendent.

Julien Damon, sociologue de la pauvreté et des politiques sociales et fin connaisseur des marginalités, y compris celles des punks à chien, se penche sur le phénomène des bidonvilles dans son dernier livre, Un monde de bidonvilles, Migrations et urbanisme informel paru dans la collection La République des Idées. Chemin faisant, il nous tire de la torpeur, et à l’aide de données et de plongées vertigineuses dans les travaux de sociologues et d’urbanistes, il brosse un tableau inattendu de ces marges urbaines. Le bidonville pourrait-il être le laboratoire des villes du futur ?

La sémantique bidonville abrite une diversité de réalités sociales et géographiques, toutes issues d’un mouvement irrépressible, celui de l’urbanisation. Cette dernière ne se résume pas à l’augmentation du nombre de personnes vivant dans les villes, du fait de déplacements de populations (exode rural, crises diverses) ou de la démographie des pays du Sud, elle se combine aussi avec l’aspiration à un modèle culturel –celui de l’individualisme, des modes de vie et des consommations promus par les médias et les industries de l’image, un horizon d’espérance qui peut se révéler un mirage. (...)

la bidonvillisation accompagne une urbanisation qui ne cesse de croître, même si on intègre globalement mieux qu’auparavant dans les mégalopoles du Sud. Ainsi dans les pays en développement, la proportion de personnes vivant dans les quartiers insalubres a diminué grâce à l’élévation des revenus et aux politiques publiques. Julien Damon cite ce chiffre : en 1990, les 689 millions résidents des bidonvilles représentaient, selon la Banque mondiale, 46% des urbains ; or en 2014, 881 millions des habitants de ces pays vivaient dans des bidonvilles, mais ne représentaient plus que 30% de la population urbaine –avec une baisse particulièrement marquée en Afrique du Nord et en Asie du sud. (...)

« La France ne sait pas combien elle contient de bidonvilles »
À l’inverse de l’occidentalisation d’une partie des grandes villes des pays en développement, on note l’apparition nouvelle de bidonvilles dans les pays développés, en particulier en Europe. Toutefois, l’imprécision statistique entoure ce mouvement que l’on peut qualifier de tiers-mondialisation d’une partie du monde développé.

En France, où le phénomène semblait avoir été éradiqué depuis la fin des années 1970, le retour des bidonvilles suscite stupéfaction et exaspération. (...)

La vérité est crue : « la France ne sait pas du tout combien, elle contient de bidonvilles » et ici comme dans toute l’Europe, le terme de bidonville ne répond ni à une seule définition, ni aux mêmes politiques publiques ; aussi les administrations font-elles assaut d’imagination pour tenter de le cerner (habitat informel, logements insalubres, indécents, indignes, permanents, transitoires etc.). (...)

Un terreau de l’inventivité

Quand on n’a rien, on est tenu de tout réinventer pour (sur)vivre. L’ouvrage explore les énergies qui se déploient pour vaincre le dénuement et l’incertitude du quotidien. Les bidonvilles sont à la fois le terreau de la bricole, de la récupération/transformation, du do-it-yourself (DIY) et celui de l’économie collaborative informelle. Pour certains intellectuels, les bidonvilles seraient mêmes les ancêtres ou les modèles inspirants des smart cities. (...)

Puis il complète avec une question de sociologue : les bidonvilles sont-ils des « nasses » dont on ne peut s’extraire, autrement dit des pièges à pauvreté, ou des « sas » permettant une mobilité ascendante ? À la lumière des quelques enquêtes citées, conclure dans un sens ou l’autre paraît pour le moment hasardeux. (...)

Le dénuement extrême, l’enfer des damnés de la terre, résident ailleurs : dans des campagnes démunies de tout équipement et de toute opportunité de travail. Par sa démonstration, Julien Damon ne fait aucun cadeau aux esprits bucoliques.