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Silence, on meurt
Laurence De Cock Professeure d’histoire-géographie
Article mis en ligne le 27 septembre 2019

« Solaire » … De tous les mots prononcés en hommage à Christine Renon, directrice d’école à Pantin, c’est celui qui me reste.

« Elle était solaire, c’est ce qu’un ami qui la connaissait m’a dit ». Ce soir, dans la cour de l’école Méhul, là où Christine Renon s’est suicidée ce week-end, on se chuchote entre nous ce que l’on sait d’elle. Personnellement je ne savais rien du tout. Mais « solaire » on ne peut pas l’inventer. Et alors la question qui vrille l’estomac plus encore que le dégout est assez évidente : Qu’est-ce qui est suffisamment puissant et froid pour parvenir à éteindre le soleil ? (...)

La réponse tient dans la si digne lettre envoyée préalablement à ses collègues ; la lettre d’une « directrice épuisée ». C’est ainsi qu’elle la signe, et surtout qu’elle signale.

La réponse tient en une phrase : « Je remercie l’institution de ne pas salir mon nom ».

J’ai cheminé toute la journée avec ces mots. Ce sont eux qui m’ont poussée à aller rendre hommage à une femme dont je n’avais jamais entendu parler. Parce que nous partageons cette curieuse chose : une commune institution. (...)

Devant cette école ce soir, on sent bien que notre colère latente est nourrie par une angoisse immense : qui sera le/la prochain.e ?

Devant moi un jeune homme couvre ses oreilles pour ne pas entendre la lecture finale de la lettre. Il suffoque sous les sanglots au point de préférer s’accroupir, à moins qu’il ne soit tombé. Ce sera peut-être lui, ou toi, ou moi.

Car il est certain que ceux qui ont le pouvoir de salir et d’éteindre le soleil ne s’arrêteront pas en chemin. Ils sévissent bien au-delà des écoles et attaquent tout ce qui subsiste encore d’esprit public. Ringardiser les métiers non soumis à la quête de rentabilité est leur sport favori.

Et dans le geste désespéré d’une femme qui est à la fois elle-même, seule et nous tou.te.s en même temps , réside cette certitude que personne n’est épargné par ce fatal basculement. Se tuer sur son lieu de travail, jeter sa mort à la face de l’institution, ce n’est pas rien. Ce n’est certainement pas comme commencent à le distiller certains médias le produit de « fortes lésions personnelles et sentimentales » (la palme revient à 20minutes.fr). C’est « le choix du lieu de ma fin de vie » comme l’écrit encore Christine Renon. Et donc à défaut d’autre choix comme le travail juste, et parce que l’institution l’en prive, il reste le choix « du lieu de ma fin de vie ».

Je comprends que l’on puisse se boucher les oreilles à la lecture de ces mots crus, mais on ne va pas pouvoir longtemps continuer à fermer les yeux.

Aussi, en guise de premier et dernier toast, pour toi, directrice solaire et épuisée, je re-jette tes maux à la mer et prie l’institution d’immortaliser ton nom.

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Une mère d’élève, enseignante dans un établissement voisin, s’empare du micro : « Je suis en colère. Beaucoup de parents ici ne savent pas. Il faut leur dire. Il faut que tout le monde sache pourquoi Christine s’est suicidée. Christine est claire. Elle met en cause l’institution, la mairie aussi. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. J’appelle à la mobilisation dès maintenant. » Applaudissements nourris de l’assemblée. De jeunes enfants, taille maternelle, sont assis sur le perron, devant le baffle qui ne crache pas bien fort. Il faut s’avancer tout près pour entendre. « Christine, c’était un monument. Un personnage avec sa polaire bleue. Elle arrivait tôt le matin, à 7 h 30. Elle était là aussi souvent le samedi et le dimanche, pour travailler. »
« Seuls »

Sur son lieu de travail les enquêteurs ont retrouvé « plusieurs courriers écrits de sa main pour informer de son choix » et une affichette à l’attention de la gardienne. Elle a vraisemblablement mis fin à ses jours samedi - les résultats de l’autopsie ne sont pas encore connus. « Aujourd’hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée », écrit-elle dans son courrier envoyé à tous les directeurs d’école de la ville. (...)

Le courrier est arrivé dans les boîtes aux lettres des douze directeurs d’école mardi matin, vingt-quatre heures après la découverte du corps. « Ça été extrêmement violent à lire, témoigne l’un d’eux. Sa lettre décrit notre quotidien à tous. Elle met des mots sur ce que l’on vit. Ces tâches qui s’amoncellent, sans que jamais on ne nous en enlève. Ces réformes qui s’accumulent, qui partent dans un sens puis dans l’autre. Un jour bleu, un jour noir. On se retrouve en première ligne, en permanence », raconte-t-il jeudi par téléphone depuis son bureau, après avoir fermé la porte. Il dit « comprendre son geste. Quand on est enseveli sous une avalanche de choses à faire, c’est compliqué de prendre du recul. De parvenir à se dire "OK, ce n’est pas ma faute, je ne peux pas tout faire". »
« Renoncements »

Il a accepté de parler « parce que c’est ce qu’elle voulait, que son geste serve à quelque chose », et dans le même temps, demande la prudence pour que sa hiérarchie ne puisse pas l’identifier… (...)

« Sachez qu’après la réception de la lettre, notre administration a mis en place une soi-disant cellule d’écoute. En réalité, les premiers mots étaient pour nous rappeler notre devoir de réserve, de discrétion. En insistant sur le fait que ce courrier était une pièce de justice, qu’il fallait la remettre à la police pour qu’elle ne soit surtout pas diffusée ! » (...)

Dans le courrier adressé à son syndicat, Christine Renon a écrit : « Je ne pensais pas que ce métier que j’ai tant aimé m’amènerait à ce geste. »