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Mediapart
Silence, on tue au Kurdistan d’Iran
#kurdistan #Iran
Article mis en ligne le 23 novembre 2022

Mahabad, l’emblématique capitale du Kurdistan d’Iran, ne répond plus.

Plus de téléphone, plus d’Internet, plus d’électricité. Quelques rares vidéos attestent que les pasdarans (gardiens de la révolution), reconnaissables à leurs uniformes beiges, et les miliciens du Bassidj (littéralement la « mobilisation ») continuent à se déployer dans la ville où ils sont entrés vendredi 18 novembre, avec des convois de plusieurs dizaines de véhicules et des blindés. On peut voir aussi certains d’entre eux tirer à l’arme automatique sur des cibles non identifiées et entendre des rafales de DShK, une mitrailleuse de fabrication soviétique.

Le régime n’a jamais perdu le contrôle de Mahabad, une ville d’au moins 200 000 habitant·es, mais il n’est pas venu à bout de la contestation née de la mort sous les coups de Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans, le 14 septembre. D’où l’intervention de l’armée idéologique du régime, dont ses forces spéciales, pour briser le mouvement de protestation dans cette localité qui a une haute importance symbolique pour les Kurdes : elle vit naître, le 22 janvier 1946, un éphémère État kurde, connu sous le nom de République autonome kurde de Mahabad, proclamée sur la place centrale de Tchahar Tcheragh et écrasée par les troupes du shah Mohammad Reza Pahlavi en décembre de la même année. Les dirigeants kurdes furent pendus en public l’année suivante.

C’est pourquoi tout soulèvement dans cette ville revêt une importance particulière aux yeux du régime, d’autant plus que les Kurdes (environ 10 millions sur 83 millions d’Iraniens) et leurs organisations (Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Komaleh et Pjak), qui sont des partis de gauche et fortement laïcs, n’ont jamais accepté la République islamique, qui incarne autant la répression, à leurs yeux, que la monarchie disparue.

C’est également la première fois que les pasdarans interviennent massivement contre le mouvement de protestation, qui est entré dans son troisième mois. D’où la crainte que l’assaut sur Mahabad soit le prélude à leur engagement dans la répression dans tout l’Iran. (...)

Dès l’annonce de l’assaut mené par les pasdarans, quasiment toutes les autres localités kurdes ont réagi en manifestant pour témoigner leur soutien aux contestataires aux cris de « Mahabad n’est pas seule ». Ce qui a aussitôt provoqué une nouvelle répression du régime à leur égard.

C’est sans doute à Javanroud, une localité proche de la frontière irakienne, qu’elle a été le plus féroce. Les pasdarans ont tiré sur la foule à balles réelles, faisant sept morts, selon le groupe de défense des droits des Kurdes d’Iran Hengaw, basé en Norvège. Sur la vidéo témoignant du massacre, on voit plusieurs corps sans vie ou blessés gisant sur le sol.

Des affrontements similaires sont aussi intervenus dans les villes de Marivan, Boukan, Saqqez, Kermanchah, Divandarreh, où les forces de sécurité ont tué trois manifestants samedi, et Piranchahr, où quatre autres personnes ont été tuées. (...)

Le second front du Rojava

C’est au nom de cette lutte contre un prétendu séparatisme et parce qu’elles les accusent d’attiser les manifestations en Iran que les forces iraniennes ont bombardé, une semaine après des frappes similaires, des groupes armés d’opposition kurdes iraniens basés au Kurdistan d’Irak voisin, tuant un de leurs combattants.

Kendal Nezan déplore aussi que la répression qui s’abat sur les villes kurdes iraniennes cache un second front, celui du Rojava, en Syrie, où depuis samedi l’armée turque a lancé l’opération aérienne « Griffe Epée » contre plusieurs localités kurdes. Il s’inquiète de ce que « la communauté internationale reste muette ». (...)

Près de 25 frappes aériennes ont ainsi été effectuées dans la seule nuit de samedi à dimanche par l’aviation turque dans les provinces syriennes de Raqqa, de Hassaké et d’Alep, faisant au moins 18 morts dans les rangs des forces kurdes, 12 morts dans ceux du régime syrien ainsi qu’un civil, et en blessant 40 autres selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée à Londres et qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie.

Les bombardements ont pris principalement pour cibles les villes kurdes de Hassaké, et surtout de Kobané, là même où l’État islamique avait connu sa première grande défaite. Ils ont visé notamment des silos à grains et une centrale électrique sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition armée dominée par les Kurdes). (...)

C’est pourquoi tout soulèvement dans cette ville revêt une importance particulière aux yeux du régime, d’autant plus que les Kurdes (environ 10 millions sur 83 millions d’Iraniens) et leurs organisations (Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Komaleh et Pjak), qui sont des partis de gauche et fortement laïcs, n’ont jamais accepté la République islamique, qui incarne autant la répression, à leurs yeux, que la monarchie disparue.

C’est également la première fois que les pasdarans interviennent massivement contre le mouvement de protestation, qui est entré dans son troisième mois. D’où la crainte que l’assaut sur Mahabad soit le prélude à leur engagement dans la répression dans tout l’Iran. (...)

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"Le Kurde est le bouc émissaire idéal dont Ankara et Téhéran ont actuellement besoin"

Sous le feu de la Turquie et de l’Iran ces derniers jours, les Kurdes sont à nouveau pris pour cibles en Syrie et en Irak. Pourquoi sont-ils dans le viseur de ces deux puissances du Moyen-Orient ? Décryptage avec Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (Cfri) et spécialiste des questions kurdes. (...)

France 24 : Les Kurdes sont sous le feu croisé de la Turquie et de l’Iran, respectivement en Syrie et en Irak. Les deux pays se sont-ils coordonnés pour frapper leurs cibles respectives ?

Adel Bakawan : Il n’existe pas de preuve d’une coordination entre Ankara et Téhéran. En revanche, celle-ci n’est pas totalement exclue. Elle est même logiquement et rationnellement concevable pour gérer, chacun à sa manière, la question kurde. On ne peut que constater que ces deux puissances régionales traversent des périodes critiques. En Turquie, pays plombé par une grave crise économique, Recep Tayyip Erdogan est en mauvaise posture alors que se profile la présidentielle de juin 2023. Le président turc est en grande difficulté politiquement et au cœur de tensions diplomatiques chroniques avec les Occidentaux. La République islamique est quant à elle en proie à un mouvement de contestation s’installant dans la durée et accuse Washington de l’attiser. Or, sachant que ces deux pays voient leur population kurde comme un danger pour l’unité territoriale, le Kurde est le bouc émissaire idéal dont ils ont actuellement besoin.

Pour quelles raisons le président turc se concentre-t-il sur les Kurdes de Syrie ?

Plus on s’approchera du scrutin présidentiel, plus Recep Tayyip Erdogan aura besoin de souder son camp en cherchant à désigner un ennemi qui menace la sécurité du pays, la cohésion nationale et la stabilité. Cela lui permet de se présenter comme le sauveur et le protecteur de la nation auprès de son électorat et de faire oublier son piètre bilan économique. C’est pourquoi il a désigné un coupable : les Kurdes de Syrie, dont le territoire est géré par la branche locale du PKK, mouvement classé comme organisation terroriste par Ankara mais aussi par Washington et l’Union européenne.

Recep Tayyip Erdogan instrumentalise également le rejet des trois millions de Syriens réfugiés en Turquie qui s’exprime de plus en plus au grand jour au sein de la société turque. Cette question est un enjeu électoral sur laquelle il entend capitaliser. (...)

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