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Soumis à l’austérité budgétaire et au management néolibéral, l’hôpital est au bord du burn-out
Article mis en ligne le 12 avril 2017

20 000 postes ont été supprimés dans les hôpitaux français en quinze ans. Sur le terrain, le travail s’intensifie, les soignants ne cessent de courir après des objectifs intenables, et finissent souvent par s’effondrer. Ils ont l’impression de négliger les patients, et perdent le sens de leur travail. Ils craignent de commettre des erreurs et tirent la sonnette d’alarme : la qualité des soins diminue dangereusement et la mortalité des patients s’accroît. Mais cette sévère cure d’austérité devrait se poursuivre : le dernier plan de financement des hôpitaux présenté par l’actuel gouvernement promet 20 000 suppressions supplémentaires. L’avenir de l’hôpital se jouera aussi lors de ces élections présidentielles.

(...) Toilettes, distribution des petits-déjeuners, aide au repas, ménage, vaisselle, changements de lits… les aide-soignantes se hâtent à longueur de journées, interrompant souvent ce qu’elles sont en train de faire pour répondre aux appels des patients, dont beaucoup sont en situation de grande dépendance. « On court tout le temps, poursuit Julie, infirmière en chirurgie dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Hier, je suis arrivée à 13h50, je suis repartie à 22h. Je n’ai pas eu le temps de faire pipi, ni de manger. »
Intensification incessante du travail

Selon nombre de soignants, ce travail à flux tendu dure depuis une quinzaine d’années, suite au passage aux 35 heures, mais sans les embauches correspondantes, et suite à l’instauration de la tarification à l’activité, plus couramment appelée « T2A ». « Chaque établissement est désormais financé en fonction de sa production d’actes de soins et de sa rentabilité, détaille la CGT. Il faut produire un nombre d’actes de soins suffisant, et diminuer les coûts. Donc faire plus avec moins. » (...)

« La T2A a fait entrer le capitalisme à l’hôpital, poursuit Philippe Batifoulier. On valorise les actes techniques et on supprime le reste. Tout ce qui est inestimable économiquement n’a plus de valeur. » (...)

« C’est impossible de faire ce qu’on nous demande »

Pour tracer les actes, tout a été informatisé. Plutôt contents de voir arriver un outil qui devait leur permettre de gagner du temps, les soignants se désolent aujourd’hui de la bureaucratisation grandissante de leurs activités. (...)

Des millions d’heures travaillées gratuitement

C’est ainsi que des agents travaillant de 6h45 à 14h00 peuvent finalement rester jusqu’à 19h00, et revenir le lendemain à 6h45 ! D’autres sont rappelés pendant leurs jours de repos et pendant leurs vacances. « C’est compliqué de dire non. On sait bien que les collègues vont galérer si on n’est pas là », soupire Anne, aide-soignante. (...)

« Les médecins tiennent le coup, puis s’écroulent carbonisés »

« Il y a un conflit entre le cœur de nos métiers, qui consiste à prendre soin du patient, et l’obligation d’être rentable », décrypte Nicole Smolski, déléguée générale de l’Intersyndicale Avenir Hospitalier. Résultat : les gens craquent. « Nous voyons sans cesse, et de plus en plus, de soignants qui arrivent en pleurs dans nos bureaux. C’est insupportable de voir toute cette souffrance », lâche Yves Morice. « On arrive au bout du surinvestissement du personnel, qui fait que l’hôpital tient encore, ajoute Thierry Amouroux. Depuis juin 2016, on a eu sept suicides chez les infirmiers. » Même constat du côté des médecins. « Les médecins tiennent le coup le plus longtemps possible, puis ils s’écroulent, carbonisés. J’en vois qui sont arrêtés depuis des mois et qui ne peuvent plus parler de leur métier sans se mettre à pleurer. C’est très violent. »
(...)

De nouvelles coupes en prévision

« Nous espérions que que Marisol Touraine reviendrait sur ces réformes, et notamment sur la T2A, rapporte Nicole Smolski. Mais rien n’a changé. Cela risque même de s’aggraver. » Le nouveau plan de finances de la sécurité sociale, voté à main levée le 5 décembre dans un hémicycle aux trois-quarts vide, prévoit de nouvelles coupes dans les budgets des hôpitaux publics. « Avec des dépenses d’assurance maladie portées à 2,1 %, soit le plus faible taux depuis vingt ans, alors que, dans le même temps, l’évolution des dépenses est estimée à 4 %. L’enveloppe budgétaire de l’assurance maladie progresse deux fois moins vite que les besoins de santé ! » s’insurge la CGT. 22 000 suppressions de postes supplémentaires sont annoncées.

« Avec les groupements hospitaliers de territoires, on va passer de 1 100 à 150 établissements de santé, décrit Hélène Derrien. L’hôpital de proximité va disparaître au profit d’énormes pôles. On éloigne encore l’hôpital des usagers. Et plus on les éloigne, plus ils courent de risques. » La population vieillissante est particulièrement vulnérable, notamment en milieu rural. « L’austérité tue », martèle Olivier Mans. Personne ne semble s’inquiéter des 17 000 morts de la grippe que l’on déplore cette année. 17 000 ! Essentiellement parmi les plus de 65 ans.

Autre motif d’inquiétude avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT) : le personnel devra être très mobile, et notamment les médecins, pour rayonner vers les divers centres qui seront à la périphérie des établissements pivots. (...)

Pour améliorer leur « efficience », les agents hospitaliers peuvent être conseillés par des experts de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé (anap). « Ils sont en général très fiers de dire qu’ils viennent expertiser un hôpital sans rien y connaître, rapporte Philippe Batifoulier. Cela les rendrait plus "efficaces". Leur référence, c’est le secteur industriel. L’hôpital doit être géré comme une entreprise. S’ils voient par exemple que le bloc opératoire n’est pas utilisé entre 1h et 5h du matin, ils protestent... Ils pressent les gens au risque d’être dangereux. » (...)