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Succession, séparation : ces petits arrangements familiaux aux frais des femmes
Le Genre du capital - Comment la famille reproduit les inégalités, Céline Bessière et Sibylle Gollac, éditions La Découverte, 336 p., 21 €
Article mis en ligne le 11 avril 2020

Les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac ont enquêté durant 15 ans sur les arrangements patrimoniaux dans l’intimité des familles, en particulier durant deux moments clés : les successions et les séparations.Or, dans l’un comme l’autre de ces moments, les femmes se trouvent statistiquement confrontées à un désavantage économique. Celui-ci résulte de l’accumulation d’une multitude d’inégalités genrées, dont les effets deviennent criants lors des conflits entre époux ou entre frères et sœurs.(...)

Céline Bussière : Dans ce livre, nous interrogeons les inégalités économiques qui se jouent dans un contexte patriarcal et notamment au sein des familles. Considérer que « le privé est politique » est l’un des acquis du féminisme des années 1970. Mais depuis cinquante ans, les féministes et les sociologues se sont davantage intéressés aux inégalités dans la sphère professionnelle.

Chaque année, on nous rappelle les chiffres : il persiste 25 % d’écart de salaire entre les hommes et les femmes. À temps de travail, qualifications et ancienneté égales, l’écart reste de 12 %

En comparaison, ce qui se joue au sein des relations familiales, dans la famille hétérosexuelle archétypale, n’est pas un sujet d’étude privilégié. Pourtant l’institution familiale est une institution patriarcale. (...)

D’un point de vue symbolique, on observe que les lois permettant aux femmes de transmettre leur nom de famille sont extrêmement peu utilisées. Le nom continue de se transmettre par les hommes.

D’un point de vue économique, les femmes en couple gagnent en moyenne, non pas 25 %, mais 42 % de moins que leur conjoint, alors qu’une femme célibataire gagne en moyenne « seulement » 9 % de moins qu’un homme célibataire. Cela veut bien dire qu’il se passe quelque chose au sein de la famille, notamment la répartition inégale du travail professionnel et du travail domestique. (...)

Nous souhaitions également interroger la notion de patrimoine (l’épargne, l’immobilier, une entreprise ou des actions et des obligations), défini comme un stock de biens, à la différence du flux des revenus. Tout cela renoue avec l’idée selon laquelle ces questions qui en l’apparence ont l’air techniques, juridiques, sont des questions politiques. Ce qui se joue au moment de la succession ou d’une séparation conjugale est politique. (...)

Quels types d’inégalités les femmes cumulent-elles dans la construction d’un patrimoine ?

C. B. : Il s’agit de nombreuses petites différences qui vont toujours dans le même sens. (...)

statistiquement, dès que l’inégalité est possible, elle s’exprime. (...)

Or, recevoir un bien structurant et recevoir des compensations n’est pas la même chose. Précisément, les compensations sont souvent sous-évaluées pour que, sur le papier, les enfants aient l’air de recevoir la même chose. (...)

Par ailleurs, les fils obtiennent leur part d’héritage – notamment sous forme de dotation – plus tôt dans la vie que les filles, en reprenant l’entreprise par exemple. Et comme le temps c’est de l’argent, cela constitue un avantage supplémentaire. (...)

Tout cela s’ajoute à ce qui se passe dans les couples et sur le marché du travail professionnel. Dans le livre, nous abordons le cas d’une femme venant d’une famille plus aisée que son conjoint. On pourrait croire que l’ascendant patrimonial lui donnerait plus de pouvoir dans son couple. Elle a élevé leurs cinq enfants, il est instituteur. D’un point de vue professionnel, de revenus, c’est lui qui a l’ascendant économique [ndlr. et lui permet par exemple d’imposer son choix de lieu de vie au couple]. (...)

Tenons également compte de l’écart d’âge. Dans les couples hétérosexuels, les femmes sont en moyenne trois ans plus jeunes que leur conjoint. Cela représente trois ans d’avance dans l’évolution de leur carrière professionnelle, dans lesquelles ils sont mieux rémunérés. (...)

À la fin de la liste, on pourrait entendre l’objection que les femmes ont un avantage : l’espérance de vie. Elles vivent plus longtemps que les hommes. C’est vrai. Il faut cependant tenir compte de l’espérance de vie en bonne santé. Cela signifie également que l’expérience de la fin de vie pour les hommes et les femmes est très différente. (...)

dans les couples hétérosexuels avec enfants, les femmes travaillent plus que les hommes : 54 heures pour les femmes, 51 heures pour les hommes. Il se trouve que deux tiers de leur travail n’est pas rémunéré : seul un tiers l’est, et il l’est moins que les hommes. (...)

les femmes en couple font souvent un calcul très particulier : mettre en vis-à-vis leur salaire et ce que coûterait des frais de garde des enfants. Pas les hommes. (...)

Au moment d’une séparation, je me mets à la place de ces femmes qui lisent dans le dossier de divorce que, selon leur conjoint, leur temps partiel était un choix personnel et non au bénéfice du couple ; qui, lorsqu’elles font les démarches pour obtenir une pension alimentaire ou une prestation compensatoire, reçoivent des accusations d’oisiveté absolument terribles. Cela veut dire que leur travail dans le couple continue à être nié lors de la séparation (...)

Il est primordial que les femmes ne se désintéressent pas des enjeux économiques au sein de la famille. On leur a appris à favoriser le consensus familial avant tout, à « ne pas envenimer les choses », à ne pas « se battre » pour des questions matérielles… Ces questions qui ont l’air techniques, rébarbatives, sont pourtant essentielles à l’égalité économique entre les hommes et les femmes, dans tous les milieux sociaux.