
Alors que La Quadrature du Net dénonçait il y a quelques semaines l’instauration de nouvelles mesures de surveillance au nom de la lutte contre la cybersécurité dans la loi de programmation militaire en cours d’examen au Parlement, le gouvernement d’Emmanuel Macron persiste et signe.
Cette fois, il s’agit de toucher aux grands équilibres de la loi renseignement, notamment en ouvrant aux services de renseignement intérieurs (notamment la DGSI) les montagnes de données accumulées par la DGSE dans le cadre de son dispositif de surveillance massive des communications Internet dites « internationales ». Et parce qu’il est toujours préférable de contourner le débat public lorsqu’on touche à la surveillance d’État, c’est en catimini, par voie d’amendement au Sénat que le gouvernement a choisi de procéder, non sans compter le soutien de quelques parlementaires complices.
Déni de réalité, déni démocratique
Le 22 mai dernier au Sénat, la ministre des Armées Florence Parly présente dans l’hémicycle un amendement à la loi de programmation militaire, déjà adoptée en première lecture à l’Assemblée. À première vue, c’est sensible, puisqu’il s’agit de toucher au livre VIII du code de la sécurité intérieure, celui qui encadre les activités des services de renseignement. Mais la ministre se veut rassurante : (...)
Il s’agit donc d’être « rationnel » sans toucher aux « équilibres retenus en 2015 ». Un petit patch bureaucratique pour faire en sorte de fluidifier le travail des services et qui, comme nous l’apprend la ministre, a été validé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (la CNCTR) et par le Conseil d’État dans leurs avis respectifs sur l’amendement proposé.
Sauf que ces propos tiennent plus du déni de réalité, voire d’une volonté manifeste de tromper son monde. Car loin d’être anecdotique, l’amendement transforme radicalement les fameux « équilibres » de la loi renseignement. (...)
Il s’agit notamment d’ouvrir aux services de renseignement intérieur les vannes du vaste système de surveillance déployé par la DGSE depuis 2008, et dans lequel l’État a depuis investi près de 1,5 milliards d’euros. Cela permet en effet d’accéder à quantité de données qui, dans le cadre strictement national, étaient plus difficilement exploitables6.
Remonter le passé pour confirmer des suspicions
Mais ce n’est pas tout. Le gouvernement a également souhaité autoriser des opérations de surveillance dites de « levée de doute ». (...)
En gros, les services utilisent un ou plusieurs « sélecteurs » ou « identifiants » correspondant à des personnes ou groupes de personnes situés à l’étranger, avec lesquels on va sonder les bases de données pour établir le graphe social et tenter de faire émerger les données de suspects résidant en France7. On peut ensuite se livrer à une surveillance plus poussée de ces suspects dans le cadre du régime de surveillance nationale (en demandant par exemple une autorisation pour procéder à une interception de sécurité)8.
L’amendement inaugure également deux régimes dérogatoires à ce dispositif de « levée de doute », qui permettent non pas de constituer ces graphes à partir d’identifiants « étrangers », mais à partir d’identifiants directement rattachables au territoire national : l’un en cas de « menace terroriste urgente », l’autre s’agissant « d’éléments de cyberattaques susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation »9.
Au plan opérationnel, ces opérations de levée de doutes poursuivent la même logique « exploratoire » que les boîtes noires de l’article L. 851-3 ou la surveillance en temps réel des données de connexion du L. 851-2 (elle aussi sont des manières de repérer des signaux faibles, en préalable d’une surveillance plus poussée). Sauf qu’il s’agit cette fois de sonder les données conservées massivement dans les data-centers de la DGSE, et non de faire de la surveillance de flux en « temps réel ». Pour rappel, les métadonnées des résidents français sont conservées quatre ans... (...)
La fuite en avant de la surveillance
Quand un outil technique existe, il n’y a aucune raison de ne pas l’utiliser à fond... C’est en tous cas la position des caciques du renseignement et des responsables politiques qui président à ces activités secrètes, et qui estiment nécessaire de mettre au service du renseignement intérieur les vastes dispositifs de surveillance de la DGSE. La fin justifie les moyens, et tant pis pour l’État de droit.
Ni le gouvernement, ni la CNCTR, ni le Conseil d’État n’ont donc de problème à s’asseoir sur les arguments qu’ils invoquaient il y a tout juste trois ans pour justifier l’instauration d’un régime dérogatoire pour la surveillance internationale,10 à savoir que celle ci ne concernait que des personnes situées hors du territoire, et donc échappant a priori au pouvoir coercitif de l’État. Aujourd’hui, ils rendent ce régime dérogatoire toujours plus poreux à la surveillance des résidents français, en permettant au renseignement intérieur de piocher allégrement dans les bases de données de la DGSE. Avec cet amendement, il devient par exemple possible de retracer d’un seul coup l’historique des communications d’un résident français en remontant quatre ans en arrière, là où le régime de surveillance nationale permettait de récolter des métadonnées vieilles d’un an maximum auprès des opérateurs et de quantité d’hébergeurs. On change clairement de dimension (...)