
Trois mois après l’adoption de la loi sur le renseignement, un nouveau texte, consacré à la surveillance des communications internationales, sera débattu dans dix jours par les députés.
Alors que les décrets d’application de la très controversée loi sur le renseignement, adoptée le 24 juin, ne sont pas encore parus, un nouveau texte consacré à l’espionnage des communications est dans les tuyaux du Parlement. Déposée le 9 septembre par les députés socialistes Patricia Adam et Philippe Nauche, respectivement présidente et vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées, la proposition de loi « relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales » sera examinée le 1er octobre à l’Assemblée nationale, en procédure accélérée. Au menu : surveillance massive et contrôle allégé.
Pourquoi une nouvelle loi ?
Comme l’a révélé l’Obs début juillet, dans une longue enquête sur le siphonnage par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, le renseignement extérieur français) des câbles sous-marins par lesquels passe le trafic internet, l’espionnage des communications à l’étranger était régi, depuis 2008, par un décret secret pris par Matignon en Conseil d’Etat, c’est-à-dire après avis de la plus haute juridiction administrative. La loi sur le renseignement visait, entre autres, à codifier – partiellement – cette « légalité occulte ». Sauf que l’article censé encadrer les « mesures de surveillance internationale » n’a pas été du goût du Conseil constitutionnel, qui l’a censuré dans sa décision du 23 juillet dernier. (...)
Les promoteurs de la loi sur le renseignement se sont toujours défendus de vouloir mettre en place une surveillance de masse, arguant que même les « boîtes noires » destinées aux opérateurs et aux hébergeurs relevaient à leurs yeux d’une surveillance « ciblée ». Dans le cas de l’espionnage à l’étranger, impossible de jouer sur les mots : on est en plein dans la pêche au chalut, qui porte sur des « systèmes de communication » entiers. Seule limite posée par le texte : pour être autorisées, les interceptions doivent relever de la « défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation » – une notion, on l’a vu, plutôt large.
Quant aux autorisations d’exploitation des données, délivrées par le Premier ministre, elles peuvent porter sur des « personnes ou groupes de personnes », des « organisations », mais également des « zones géographiques » – des pays entiers, par exemple. Les « boîtes noires » ont aussi leur pendant international, qui ne se limite pas à la lutte antiterroriste : Matignon peut en effet autoriser pendant un an (renouvelable) « l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées » via des « traitements automatisés » – les fameux algorithmes chargés de détecter d’éventuels comportements suspects, des « signaux faibles ». Il n’est évidemment pas anodin qu’en commission de la défense, Patricia Adam ait tenu à préciser que le texte « prend en considération les activités que mène la DGSE, celles actuelles » et qu’« il n’y a pas d’ajout de capacités nouvelles ». Il s’agit bien de légaliser ce qui se pratiquait déjà.
Les seuls à pouvoir prétendre échapper aux filets seront les magistrats, avocats, parlementaires ou journalistes communiquant depuis l’étranger mais exerçant en France. (...)
Le texte ne dit par ailleurs pas un mot des éventuels échanges entre services de renseignement de pays alliés, cette ultime « zone grise » de l’espionnage. (...)
Seul le contrôle a posteriori est censé garantir que le travail de la DGSE reste dans les clous d’une légalité par ailleurs particulièrement généreuse. La commission de contrôle reçoit donc « communication de toutes les autorisations » d’interception, et se voit garantir un accès « permanent, complet et direct » à tout ce qui est collecté. Elle peut demander la destruction des informations collectées, voire porter l’affaire devant le Conseil d’Etat, si elle constate une sortie de route. Encore faudra-t-il qu’elle ait les moyens, techniques et humains, d’exercer son contrôle. Ce dont a toujours ouvertement douté Jean-Marie Delarue, l’actuel président de la Commission nationale des interceptions de sécurité (CNCIS), que la CNCTR va bientôt remplacer. (...)
Pour l’association de défense des libertés en ligne la Quadrature du Net, déjà vent debout contre la loi renseignement, ce nouveau texte va dans le sens d’« une véritable course à la guerre du renseignement contre nos partenaires européens et internationaux », et crée « une rupture catégorique de l’universalité des droits » entre citoyens français et étrangers. Elle a d’ailleurs déposé, avec le fournisseur d’accès à Internet French Data Network et la fédération des FAI associatifs (FFDN), deux recours contre le décret de 2008. Si le recours en référé – pour obtenir en urgence la suspension du décret – a été rejeté, le recours sur le fond, lui, court toujours. Un membre d’un collectif d’avocats franco-américain, la French American Bar Association, a par ailleurs demandé à la CNCIS de vérifier s’il était l’objet d’écoutes et d’en contrôler la légalité. Autant de démarches dont les suites pourraient venir nourrir le débat.