Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
CQFD
Survivalisme et extrême droite : une romance qui dure
Article mis en ligne le 13 mars 2019
dernière modification le 11 mars 2019

Kits de survie en pleine nature, stages extrêmes en montagne, littérature florissante, le survivalisme est un business rentable. Une tendance floue, aux ramifications multiples. Si les angoissés de l’Apocalypse comptent dans leurs rangs une quantité non négligeable de doux dingues plus perfusés à Walking Dead qu’encartés au Rassemblement national, il existe visiblement une frange d’adeptes bien plus obscure. Tour d’horizon d’un mouvement aux priorités très nationales.

Toujours américain, souvent un peu benêt, le survivaliste type a longtemps été ce Républicain de la première heure, ce militant acharné de la NRA [1], ce patriote à la foi chevillée au corps. Cet homme qui monte un bunker en kit plus vite qu’un meuble Ikea et qui laisse tous les patrons de la grande distribution pantois devant son don pour la mise en rayon. Bref, un guerrier des temps modernes fin prêt pour l’apocalypse.

Il y a quelques années encore, le survivalisme prêtait surtout à rire et ne semblait être qu’un symptôme de plus d’une Amérique malade. Aujourd’hui le mouvement a fait des petits. Il a essaimé un peu partout en Europe et semble avoir largement redoré son blason. Ses adeptes sont présentés ici et là comme des éco-citoyens plus branchés permaculture et appel de la forêt qu’armes lourdes et drapeau confédéré. Pourtant, l’histoire sent méchamment le soufre et certains continuent d’en écrire les pages. (...)

le survivalisme a dès ses débuts entretenu des liens forts avec des organisations politiques douteuses. Proche du parti nazi américain, Saxon entend préparer les rejetons de l’Oncle Sam à faire face à ce qu’il considère comme deux « catastrophes » imminentes et majeures : la crise migratoire et la menace nucléaire. En pleine guerre froide, il associe menace atomique et « péril rouge ».

Rédacteur de tracts prolixe, Saxon passe une bonne partie de son temps à prêcher la bonne parole dans la rue et à la sortie des églises. Il publie également plusieurs ouvrages dont Poor Man’s James Bond, série en cinq volets dans laquelle il livre trucs et astuces pour endiguer la menace gauchiste. (...)

Le premier survivaliste de l’histoire contemporaine est également persuadé qu’en cas de grand péril, les espaces les plus directement et massivement touchés seront les zones urbaines. Il encourage donc ses ouailles à se rapprocher de la nature afin d’y trouver, plus qu’un refuge, un retour à une vie saine, exemptée des vices de la société moderne.

Plus écolos que paranos ?
En mars dernier, les survivalistes de tous poils tenaient salon à Paris. À cette occasion, L’Express titrait « Les nouveaux survivalistes, plus écolos que paranos ». D’après le sociologue Bertrand Vidal [3] , spécialiste de la question, le divorce entre extrême droite et preppers [4] serait consommé. Certaines figures tutélaires de la droite dure continuent pourtant de se faire les ambassadrices du mouvement et jouissent d’une solide notoriété. En témoigne la récente interpellation de membres de l’AFO [5] soupçonnés de préparer une série d’assassinats ciblant des imams.

À côté de néo-ruraux « bien sous tous rapports », on trouve aussi de grands noms du conspirationnisme de droite, comme celui d’Alain Soral. (...)

Soral propose notamment des séjours en pleine nature pour patriotes chevronnés. En 2014, un article du Canard Enchaîné faisait la lumière sur ces stages commandos borderline. Allan Henry, alors journaliste pour L’Autre JT, avait infiltré l’un d’eux. Droit à l’IVG comparé à la peine de mort, finance aux mains des juifs… Entre deux récoltes d’herbes aromatiques, les propos tendancieux fusent. D’après le journaliste, « tous les participants étaient d’une manière ou d’une autre proches de Soral. Ils connaissaient ses vidéos, ses bouquins… La personne qui nous accueillait l’avait d’ailleurs rencontré plusieurs fois. » Ce qui n’empêchait pas les profils d’être variés : « Cela allait du père de famille de 50 ans, à la trentenaire en perte de repères. Une femme recroisée d’ailleurs plus tard dans un événement organisé par le FN. » Quand son reportage a été diffusé, les commentaires ont dû être désactivés, insultes et menaces s’accumulant sous la vidéo. (...)

La ville en ligne de mire

Dans la droite ligne des théories de Kurt Saxon, les survivalistes sont nombreux à être persuadés que les grandes métropoles seront des cibles de choix dans le viseur apocalyptique. C’est en tout cas ce que prédit Laurent Obertone, journaliste, essayiste d’extrême droite et porte-étendard de la « théorie du grand remplacement ». (...)

Arguments de propagande par excellence, les mythes eschatologiques [7] ont toujours servi de levier pour convaincre les apostats de se rallier à la cause. Jouer sur les peurs et encenser les croyances, ça paye. Ce que l’extrême droite française a bien compris.

Retour à la terre

On en conviendra, le bushcraft à la sauce apocalyptique est un mouvement protéiforme qui ne rassemble pas que des électeurs lepénistes. En revanche tous les adeptes ont le même terrain de jeu : les campagnes. Certains sont branchés simplicité volontaire à la Pierre Rabhi tandis que d’autres semblent plus sensibles à un « retour à la terre » qui fleure bon la pastille Vichy. Arguments de propagande par excellence, les mythes eschatologiques [7] ont toujours servi de levier pour convaincre les apostats de se rallier à la cause. Jouer sur les peurs et encenser les croyances, ça paye. Ce que l’extrême droite française a bien compris.

Retour à la terre
On en conviendra, le bushcraft à la sauce apocalyptique est un mouvement protéiforme qui ne rassemble pas que des électeurs lepénistes. En revanche tous les adeptes ont le même terrain de jeu : les campagnes. Certains sont branchés simplicité volontaire à la Pierre Rabhi tandis que d’autres semblent plus sensibles à un « retour à la terre » qui fleure bon la pastille Vichy. (...)

On est finalement pas très loin du « Retour à la terre » préconisé par Pétain. Un plan national censé, entre autres, encourager les citadins à réinvestir la forêt, alors considérée par le maréchal comme un « vivant symbole de la tradition » qui « perpétue l’histoire » et a toujours permis à « la vieille France, [de] s’y être conservée mieux que partout ailleurs » [9]. Apocalypse, nous voilà !