
Depuis combien de temps un responsable politique français n’avait-il évoqué Munich ? Harlem Désir, le premier secrétaire du Parti socialiste a osé : « Je ne voudrais pas que les mêmes qui recevaient M. (Bachar) Al-Assad un 14 juillet montrent aujourd’hui un esprit munichois face à ces atrocités. » Il faisait allusion à la visite en France du président syrien en 2008. La formule sur Munich s’est tellement banalisée — certains évoquaient même, à propos d’une décision du gouvernement sur le foulard, en 1989, « un Munich de l’école républicaine » ; plus éloigné de nous, mais plus significatif, Guy Mollet, un autre socialiste, l’utilisait pour justifier l’agression contre l’Egypte après la nationalisation de la compagnie du canal de Suez en 1956.
Cette formule permet de discréditer, sans beaucoup de risques, l’adversaire accusé de céder au fascisme, comme la France et le Royaume-Uni avaient reculé en 1938 devant Hitler. Elle permet aussi d’éviter tout débat sur des sujets importants et de réduire le champ de la controverse démocratique.
Pourtant, le débat sur un éventuel bombardement de la Syrie, qui aurait sans doute été en partie escamoté si le président Barack Obama n’avait pas décidé de consulter le Congrès avant d’agir, est désormais lancé. Et c’est une bonne chose, tant les décisions prises auront de répercussions sur le Proche-Orient, mais aussi sur la place de la France dans le monde. Le Parlement français débattra de ces questions le mercredi 4 septembre. (...)
Plusieurs questions méritent réflexion et discussion :
- Concernant l’utilisation des armes chimiques, les enquêteurs de l’ONU sont allés sur place. Leurs conclusions devraient être connues d’ici une quinzaine de jours. N’est-il pas impératif d’attendre les résultats, d’autant que les preuves avancées par les Etats-Unis sont entachées, aux yeux des opinions occidentales, mais aussi des opinions du monde arabe ? Personne n’a oublié le précédent de la guerre contre l’Irak en 2003 et les armes de destruction massive inexistantes.
- Si l’usage de ces armes est avéré — et le régime syrien, qui a considérablement développé son arsenal chimique dans les années 1980 dans sa recherche d’une parité stratégique face à Israël, est le premier suspect —, que faire ? (...)
Que faire donc si leur usage est confirmé ? Les traités ne prévoient aucune sanction, seul le conseil de sécurité de l’ONU est habilité à réagir, et il est paralysé. Quand M. Fabius déclare au Figaro (26 août) que Assad « se moque comme d’une guigne de la légalité internationale », il a raison ; mais des bombardements de la Syrie sans mandat de l’ONU sont aussi une violation de la légalité internationale. Faut-il s’y résoudre ?
Non, même s’il est vrai qu’on peut comprendre certaines exceptions. Ainsi, en 1979, le Vietnam a envahi le Cambodge et renversé le gouvernement khmer rouge, malgré une condamnation de la communauté internationale qui maintint pendant des années le gouvernement génocidaire en son sein et dans les instances des Nations unies. Hanoï avait-il tort ?
Mais nous ne sommes évidemment pas dans ce cas de figure. A part l’idée incongrue de « punition », à quoi serviraient des frappes contre la Syrie ? Elles ne modifieraient pas, d’après ceux-là même qui les proposent, le rapport de forces en Syrie, mais risqueraient d’étendre un peu plus le conflit au Liban et, pourquoi pas, à Israël. (...)
Ces bombardements échappent à toute réflexion politique sur la manière d’arrêter le carnage en Syrie, sur la manière d’amorcer une désescalade, processus d’autant plus nécessaires que le chaos s’installe dans la région, qu’il s’étend de l’Afghanistan au Sahel, en passant par l’Irak, le Liban, la Libye, la Somalie, le Sahel. La déliquescence des Etats, le rôle croissant des groupes armés, la nouvelle vie des organisations djihadistes, etc. sont des données qui devraient inquiéter et qui inquiètent nombre de capitales, aussi bien Moscou, Téhéran, Paris que Washington.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que, si le régime semble incapable de l’emporter, l’opposition — fragmentée et, en partie, dominée par des groupes radicaux — n’a pas été capable de changer les rapports de force (lire, sur ce blog, « Syrie, est-il déjà trop tard ? », 24 décembre 2012). On peut trouver mille et une causes à cette situation, y compris l’attitude des puissances étrangères occidentales ou arabes. Mais on doit aussi prendre en compte les divisions des Syriens eux-mêmes et le fait que le régime a réussi à souder autour de lui une base sociale inquiète de la montée des groupes djihadistes (on lira ainsi l’article de Janaina Herrera, « La crise syrienne au prisme latino-américain (Venezuela, Brésil et Argentine) », Les carnets de l’Ifpo, 14 septembre 2012, qui montre que, en Amérique latine, la majorité des émigrés syriens soutiennent le régime).
Il faut donc négocier, même si ce n’est pas simple et le régime résiste à toute réforme sérieuse tandis que l’opposition divisée se déchire. (...)