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Territoires zéro chômeur : quand les profils cabossés retrouvent une vie « normale »
Article mis en ligne le 17 octobre 2020

Le Sénat a validé ces jours-ci l’extension de l’expérimentation des « territoires zéro chômeur de longue durée ». À Thiers, les participants à ce programme retrouvent l’emploi au travers d’actions solidaires, d’économie circulaire et d’activités liées à la transition écologique.

C’est dans un préfabriqué d’apparence banale que se déroule une expérience sociale. À l’intérieur, Suzanne s’applique sur sa machine à coudre. Sous ses doigts, le pied presseur suture des couches réutilisables. Seul un mur la sépare du hangar où Mustapha, isolé au cœur d’une forêt de meubles, applique sa ponceuse sur le fil d’une commode fatiguée. Par l’ouverture d’une porte de garage, on devine le dos de Gaëtan, qui ausculte puis opère le moteur de l’utilitaire stationné dans son garage solidaire. Trois métiers sans lien apparent, réunis entre les murs d’Actypoles, en bordure de Thiers, petite commune du Puy-de-Dôme. Étrange laboratoire où s’expérimente un projet de société. Celui des « territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), engagé en 2016 dans treize communes de France. (...)

Le pari des TZCLD ? Identifier sur un territoire les personnes privées durablement d’emploi (PPDE), et les besoins non remplis par les collectivités locales et les entreprises privées. Aux premiers sont proposés un emploi en CDI, rémunéré au Smic [10,15 € brut l’heure au 1er janvier 2020], sans sélection préalable. Ils sont employés dans une entreprise à but d’emploi (EBE), qui définit et adapte les services qu’elle propose en fonction des besoins à combler sur le territoire, des projets de ses employés, tout en respectant la non-concurrence face aux entreprises existantes. Un jeu d’équilibriste complexe, subventionné par l’État à hauteur de 18.000 euros annuels par emploi, par les départements au prorata des allocations économisées, et par le chiffre d’affaires des EBE. Le tout pour un coût théoriquement neutre pour les finances publiques grâce aux gains sur les prestations sociales non versées.Le Sénat a adopté mardi 13 octobre l’extension de l’expérimentation de 13 à 60 territoires. Olivier Bouba-Olga met en garde les territoires qui pourraient se laisser tenter trop vite par les mirages du projet : « Il ne faut pas croire qu’on met en place un système qui élimine un problème fondamental et qui ne coûte rien. Ce n’est pas le cas. » Pour fonctionner, le territoire se doit d’être mature et les acteurs locaux au diapason : « L’enjeu majeur est de mettre autour de la table tous les acteurs de l’insertion économique qui peuvent participer à l’expérimentation : mairie, communauté de communes, département, région, les partenaires locaux, le CCAS [centre communal d’action sociale]… Les territoires qui fonctionnent sont ceux qui disposent d’une vraie qualité dans la gouvernance. » (...)

Le public atteint possède des trajectoires de vies complexes, dont certaines caractéristiques freinent l’embauche : femmes voilées, anciens toxicomanes ou repris de justice. Quant aux activités, Thiers n’a pas manqué de besoins à combler. Au fil des discussions entre le comité, les collectivités locales et les employés, des projets se sont épanouis : garage solidaire, recyclage informatique, récupération, rénovation et revente de meubles, collecte et broyage de déchets, travaux d’espaces verts ou café solidaires… Une liste à la Prévert d’actions solidaires ou liées à l’économie circulaire. (...)

La faiblesse des transports en commun freine l’accès aux viviers d’emplois de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Vichy (Allier) et de Roanne (Loire), situés à trois-quarts d’heure de route. « La gare de Thiers a quasiment fermé, il y a peu de trains et pas d’employés. Seulement un automate à ticket et des bus. C’est un problème pour trouver du travail », dit Ludivine. D‘où l’émergence d’un pôle mobilité, qui a la mission de convoyer chaque matin les apprentis d’un foyer de jeunes travailleurs, et d’effectuer des déplacements solidaires, toujours sous prescription d’un assistant social. « C’est surtout pour les personnes à faibles ressources, pour les emmener à des rendez-vous médicaux, familiaux ou de formation », décrit Sébastien, l’un des chauffeurs. (...)

La faiblesse des transports en commun freine l’accès aux viviers d’emplois de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Vichy (Allier) et de Roanne (Loire), situés à trois-quarts d’heure de route. « La gare de Thiers a quasiment fermé, il y a peu de trains et pas d’employés. Seulement un automate à ticket et des bus. C’est un problème pour trouver du travail », dit Ludivine. D‘où l’émergence d’un pôle mobilité, qui a la mission de convoyer chaque matin les apprentis d’un foyer de jeunes travailleurs, et d’effectuer des déplacements solidaires, toujours sous prescription d’un assistant social. « C’est surtout pour les personnes à faibles ressources, pour les emmener à des rendez-vous médicaux, familiaux ou de formation », décrit Sébastien, l’un des chauffeurs. (...)

« On parle d’un projet de société, dont l’objectif est de fournir du travail » (...)

le dispositif permet-il vraiment le retour sur le marché de l’emploi des personnes qui en ont été éloignées durablement ? Pas vraiment. Du moins, pas pour l’instant. « Notre taux de sortie est de 5 % », annonce d’emblée Boris Surjon, avant de clarifier une erreur commune : « Il ne faut pas nous confondre avec un dispositif d’insertion. On parle d’un projet de société, dont l’objectif est de fournir du travail. Si tu veux te stabiliser, te reconstruire, il te faut du temps et de la sécurité. C’est ce qu’offrent le CDI et l’expérimentation. » Boris Surjon préfère d’ailleurs le terme « évolution positive » à celui de « sortie positive ».

Cette problématique des débouchés n’a pas échappé à Pierre Cahuc, membre du comité scientifique chargé de l’évaluation de l’expérience. Dans plusieurs prises de paroles, l’économiste a porté un regard critique sur le coût du dispositif et les perspectives offertes aux anciens chômeurs : « Cette expérimentation ne produit pas le miracle annoncé. Son coût est significatif et elle doit être comparée aux autres dispositifs d’accompagnement vers l’emploi des chômeurs de longue durée. Ces dispositifs présentent l’avantage de combiner emploi, formation et soutien personnalisé, aspects quasi absents de l’expérimentation territoire zéro chômeur qui risque d’enfermer à terme des centaines de personnes dans des emplois publics peu rémunérés, peu productifs et coûteux. »

Une position que ne partagent pas ses confrères du comité scientifique. Olivier Bouba-Olga, son président, nuance : « Certains bénéficiaires sont très loin de l’emploi, nous avons eu des cas d’illettrisme, des trajectoires de vie complexes… Il faut alors un temps important avant de pouvoir rentrer dans un emploi classique. » Une solution pour améliorer l’expérimentation serait de se rapprocher des entreprises privées pour favoriser la transition d’un CDI TZCLD à un retour sur le marché du travail. (...)

Que fixer alors comme critères de réussite ? « Montrer qu’on est capable de ramener à l’emploi des gens hors des radars, et l’effet positif sur leur vie, celle de leur entourage, répond Olivier Bouba-Olga. Nos premiers résultats montrent qu’il y a un effet positif sur les bénéficiaires au-delà de leur vie professionnelle : ils ont moins de problèmes pour se loger, pour les dépenses de transports. Il y a un deuxième élément positif : c’est le bien-être ressenti. » Il y a également les gains de compétences qui les émancipent, fournis par les formations dispensées dans l’entreprise à but d’emploi (EBE). (...)

Le Sénat a adopté mardi 13 octobre l’extension de l’expérimentation de 13 à 60 territoires. Olivier Bouba-Olga met en garde les territoires qui pourraient se laisser tenter trop vite par les mirages du projet : « Il ne faut pas croire qu’on met en place un système qui élimine un problème fondamental et qui ne coûte rien. Ce n’est pas le cas. » Pour fonctionner, le territoire se doit d’être mature et les acteurs locaux au diapason : « L’enjeu majeur est de mettre autour de la table tous les acteurs de l’insertion économique qui peuvent participer à l’expérimentation : mairie, communauté de communes, département, région, les partenaires locaux, le CCAS [centre communal d’action sociale]… Les territoires qui fonctionnent sont ceux qui disposent d’une vraie qualité dans la gouvernance. »