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la vie des idées
Tournesols taïwanais, parapluies hongkongais
Occupy en Asie de l’Est
Article mis en ligne le 5 octobre 2016
dernière modification le 26 septembre 2016

Les récentes élections à Taïwan et Hong Kong attestent de l’impact profond et durable qu’y ont eu les mouvements étudiants de 2014. Si l’expression d’une critique purement « identitaire » est impossible face à la Chine, les revendications démocratiques gagnent en revanche du terrain.

En 2014, à six mois d’écart, deux mouvements de jeunes éclatent et occupent l’espace public pendant plusieurs semaines. Tout d’abord, à Taïwan, du 18 mars au 10 avril, pour protester contre l’Accord sur le commerce des services avec la République Populaire de la Chine, environ 200 jeunes étudiants occupent l’hémicycle du parlement pendant 24 jours. Suite à la pression sociale, le gouvernement de Taïwan est obligé de suspendre l’accord. Plus tard, fin septembre 2014, lorsque les autorités chinoises annoncent que le chef de l’exécutif sera élu en 2017 par un comité de 1 200 personnes et rejette la demande d’introduction du suffrage universel des citadins hongkongais, des milliers de citadins, étudiants pour la plupart, occupent trois quartiers.

Ces deux mouvements partagent de nombreuses similitudes avec les mouvements mondiaux auxquels on assiste depuis le printemps arabe : une participation majoritaire de jeunes de moins de trente ans ; l’omniprésence des réseaux sociaux dans la documentation et la mobilisation du mouvement ; ainsi que l’occupation non-violente de l’espace public qui met en avant la désobéissance civile. Cependant, malgré les ressemblances formelles en termes de mobilisation, les occupations des jeunes taïwanais et hongkongais se démarquent largement d’autres mobilisations par l’absence de revendications socio-économiques. (...)

dans le cas de Taïwan et Hong Kong, les jeunes insistent davantage sur la démocratie formelle, concentrant leurs revendications sur le suffrage universel. Ce faisant, leurs revendications démocratiques font écho aux sentiments anti-Chine de la population. (...)

La liberté avant l’égalité

« On souhaiterait rendre la société plus libérale, avant qu’elle ne devienne plus égalitaire » [1]. Dans un entretien avec la revue britannique New Left Review, Joshua Wong, leader du mouvement des Parapluies et fondateur de l’association des lycéens Scholarism [xuemin sichao], explique ainsi l’objectif de leur protestation. Selon lui, dans une société profondément capitaliste comme celle de Hong Kong, un mouvement de masse ne peut pas gagner de soutien social s’il met en avant des revendications anticapitalistes (...)

l’hostilité envers le parti communiste chinois affaiblit la légitimité des critiques anticapitalistes. (...)

l’opposition entre la gauche et la droite locales soit presque absente de la politique contestataire de Hong Kong. En raison de l’hostilité historique au parti communiste chinois, la division idéologique entre gauche et droite est obscurcie par les tensions entre l’autonomie de la population de Hong Kong et le contrôle du parti communiste chinois. Dans ce cadre, le mouvement pour l’autonomie de Hong Kong, associé à un sentiment historique de supériorité face aux continentaux, a rendu les critiques anticapitalistes inaudibles. En conséquence, la démocratie est perçue par la société civile comme la solution à tous les problèmes sociaux. Pendant ce temps, la manifestation annuelle du 4 juin (en commémoration du massacre de Tian’anmen) et du 1er juillet (anniversaire du rattachement de Hong Kong à la Chine) attirent de plus en plus de personnes. (...)

En somme, au lieu de s’opposer sur les questions économiques et sociales, les groupes et les partis politiques se divisent notamment selon leur position identitaire concernant la Chine. Par conséquent, la démocratie est perçue comme un remède aux problèmes sociaux, mais au-delà des propositions formelles telles que le suffrage direct, peu de revendications concrètes sur le fonctionnement de la démocratie émergent. (...)

Ces conditions historiques expliquent pourquoi un système démocratique, transparent et favorable au libre échange est devenu la revendication la plus importante des mouvements des Tournesols et des Parapluies. Cependant, la nouveauté de ces mouvements tient aussi à leur désir de dépasser les débats identitaires en s’appropriant les valeurs démocratiques.

Après Tian’anmen, la relève

Plutôt qu’une relève du récit identitaire, les mouvements des Tournesols et des Parapluies mettent en effet en œuvre une nouvelle forme de critique des intellectuels et des militants, politisée dans l’ambiance post-Tian’anmen. Deux facteurs semblent notamment cruciaux dans la formation de cette nouvelle conscience des luttes : un premier facteur politique, le désir de réaffirmer les libertés individuelles et les principes démocratiques comme règles fondatrices d’une société ; un second facteur socio-économique, la revendication d’un mode de vie qui prenne ses distances avec le modèle de développement chinois. (...)

Les mouvements des Tournesols et des Parapluies sont ainsi l’expression concrète d’un élan humaniste des jeunes Taïwanais et Hongkongais face à l’épuisement de la capacité de critique du pouvoir en place. L’un des catalyseurs de ce ressentiment est l’ouverture du tourisme chinois depuis une dizaine d’années. Bien que les pouvoirs politiques insistent sur les bénéfices économiques dégagés par les touristes chinois, pour les Taïwanais et les Hongkongais, la rencontre brutale avec ces populations du continent renforce un sentiment d’altérité : les Chinois sont perçus comme des habitants d’un pays du tiers monde, encore loin des standards de la civilisation. Cette vision, héritée de la Guerre froide, demeure omniprésente dans les deux sociétés historiquement liées au camp occidental. (...)

plus Pékin défend sa politique, plus les jeunes de Taïwan et Hong Kong s’y opposent en affirmant des valeurs démocratiques et leur identité locale. Ces nouvelles revendications conduiront-elles à plus d’affrontements, ou à une dérive identitaire ? Permettront-elles une évolution du mouvement démocratique en Chine ? Dans tous les cas, l’avenir de la paix régionale dépendra très certainement des interactions entre ces mouvances politiques à Taïwan et à Hong Kong, et de la façon dont la Chine y réagira.