
Nous sommes des citoyennes et citoyens de Toulouse, Bordeaux ou Paris, tous salariés directs ou indirects du secteur aéronautique et spatial, et dont l’activité est fortement impactée par les conséquences de la crise sanitaire de la COVID-19 sur le transport aérien. Nous sommes vos collègues, vos voisins de bureaux, parfois vos amis, c’est ce qui nous incite à partager nos réflexions avec vous aujourd’hui.
Ces dernières semaines, nous avons été interpellés, plus ou moins directement, par des scientifiques, des chercheurs toulousains, des étudiants des écoles aéronautiques mais aussi par des ONG, des think-tanks, des syndicats ou par les citoyens de la Convention Citoyenne pour le climat (voir les références en fin de lettre). Tous demandent à reconsidérer la place de l’avion dans nos vies au regard de sa contribution au changement climatique. Devant la chute vertigineuse du trafic aérien provoquée par la crise, tous s’interrogent : faut-il relancer le secteur sur les mêmes objectifs de croissance qu’auparavant ?
Pour être honnête, cette question nous taraudait déjà avant la crise. Si certains étaient confiants dans notre capacité à trouver des solutions technologiques pour répondre à des contraintes environnementales grandissantes, d’autres étaient déjà sceptiques sur l’avenir de notre industrie dans un contexte de réchauffement climatique, de chute de la biodiversité et de raréfaction du pétrole. La situation actuelle nous réunit désormais autour d’un constat unanime : l’industrie aéronautique doit se réinventer à la lumière de ces enjeux et de la crise économique que nous traversons. (...)
qu’elle soit rêve ou passion, l’aviation, au même titre que d’autres secteurs, contribue de façon significative au dérèglement climatique qui menace l’humanité et son modèle économique risque d’être condamné à relativement court terme par la raréfaction des énergies fossiles liquides.
Devant notre sentiment d’impuissance face à la hausse effrénée du trafic mondial et l’inaction des Etats pour la limiter, nous sommes nombreux à ressentir une dissonance cognitive entre notre activité professionnelle et nos convictions personnelles. Nous aimons notre métier et en sommes fiers mais nous ne souhaitons pas contribuer à accélérer la catastrophe qui se profile, c’est une question d’éthique.
Alors que faire ? D’abord faire face à nos responsabilités et reconnaître le problème plutôt que de l’élude (...)
Nous devons également accélérer nos efforts de recherche, mobiliser notre expertise et nos compétences pour développer des avions plus sobres et fonctionnant avec une énergie décarbonée. Mais nous devons aussi reconnaître que ces solutions ne seront pas prêtes avant 2035 au mieux. D’ici là, compte tenu de l’urgence à inverser la courbe des émissions pour respecter les accords de Paris, nous sommes convaincus que la réduction de l’impact environnemental de l’aviation passera principalement par la sobriété des usages et la limitation du trafic aérien. Nous devrons donc adapter notre modèle économique et nos cadences de production à cette réalité. (...)
Enfin, il nous semble nécessaire d’anticiper et de compenser la baisse de nos activités “historiques” par la diversification de nos entreprises vers de nouveaux secteurs et l’accompagnement à la reconversion des salariés. Dans l’objectif de réorienter durablement notre économie vers les enjeux prioritaires d’aujourd’hui et de demain, il y a de nombreux domaines dans lesquels nous pourrions valoriser nos moyens d’études et de production et nos compétences professionnelles et personnelles : l’énergie, la santé, l’agriculture, le bâtiment, les autres moyens de transports comme le ferroviaire, les systèmes de mobilités, la gestion de l’eau, la formation, l’Économie Sociale et Solidaire, etc. Il est sans doute aussi temps d’interroger notre rapport au travail et à la production et d’envisager une meilleure répartition du temps de travail.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux à être partagés entre la peur de perdre notre emploi et le sentiment qu’un virage est nécessaire. Au travers de cette lettre, nous souhaitons engager un échange sincère et ouvert avec vous pour penser notre avenir et engager des actions concrètes. Nous avons créé ce collectif ICARE pour fédérer les salariés de l’aéronautique qui se reconnaissent dans ce constat et qui souhaitent participer à des groupes de réflexions sur les thèmes évoqués dans cette lettre : reconversion professionnelle, transfert des compétences, gestion du changement, …
L’innovation sous contrainte et la passion sont les fers de lance de nos métiers, elles nous permettront de raviver l’âme pionnière de notre industrie et de relever le plus complexe des défis : se réinventer pour trouver notre place dans un monde résilient et durable.