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Trois ans après la mort de Rémi Fraisse, l’urgence d’une agriculture qui ne gaspille plus les ressources en eau
Article mis en ligne le 27 octobre 2017
dernière modification le 26 octobre 2017

Il y a trois ans, Rémi Fraisse était tué lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens, sur la zone humide du Testet (Tarn). Depuis, le projet de barrage a été abandonné, mais la question de l’accès à l’eau continue de se poser, alors que la région commence à subir les effets concrets du réchauffement climatique. Comment cultiver sans gaspiller ? De nombreux agriculteurs locaux expérimentent des alternatives, mais se heurtent au dogmatisme, voire à l’intransigeance, des pouvoirs publics et du lobby agro-industriel. Reportage.

C’était il y a trois ans, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014. En plein week-end de mobilisation contre le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn, Rémi Fraisse, jeune militant écologiste de 21 ans, était tué par une grenade offensive lancée par un gendarme mobile. Jeté en cloche, le projectile a atterri entre ses épaules et son sac à dos, avant d’exploser en lui infligeant une blessure fatale. Après le choc, et une couverture médiatique nationale, le projet a été arrêté quelques mois plus tard, tandis que les derniers occupants évacuaient le site en mars 2015. (...)

Depuis, la justice a annulé les arrêtés qui avaient rendu possibles les travaux à Sivens et, comme convenu avec l’État, un « projet de territoire » est en cours d’élaboration. Son principe : assoir les acteurs – élus, agriculteurs, voisins, associations environnementales... – autour d’une table pour trouver de nouvelles solutions.

La tâche s’annonce ardue, dans cette zone où les affrontements entre les « pro » et les « anti » barrage ont laissé des traces. La question d’un nouveau projet de retenue d’eau, et la forme que celui-ci pourrait prendre, reste un facteur de division. Mais certains agriculteurs, à leur échelle, ont dores et déjà fait bouger les lignes, en prenant leurs distances avec une agriculture intensive particulièrement gourmande en eau. (...)

« Irriguer peut être rentable : en bio actuellement, la demande explose. La tonne de maïs se vend jusqu’à 300 euros » relève Philippe, qui a abandonné cette culture il y a quinze ans. Il produit luzerne, tournesol, blé, lentilles et un peu de soja. Pour l’eau, il utilise le minimum autorisé par son association agricole associée (ASA). « Ils ne voulaient pas fixer une limite plus basse », précise Philippe. (...)

« Si tu irrigues, tu dois intensifier les cultures, travailler plus souvent la terre, faire des labours plus profonds, choisir des semences qui font du rendement, mais qui seront peut être moins résistantes aux aléas. »

Les agriculteurs se trouvent rapidement enfermés dans une logique non seulement agricole, mais aussi industrielle, dans laquelle la production du maïs a souvent la part belle. Pour s’en préserver, Philippe nous emmène un peu plus loin, dans un champ en cours de préparation : « On retourne la terre en surface pour l’aérer, puis on plante un mélange de graines d’orge, de seigle, d’avoine et de pois pour l’hiver. Au printemps, on va broyer ce couvert végétal, en attendant la culture d’été. » En l’occurrence, celle du tournesol. (...)

« Un jour où l’autre, il faudra bien se partager les réserves d’eau », constate Philippe. Dans cette zone de plaine, les effets concrets du changement climatique sont visibles. Cette année, Philippe voit ses collègues obligés d’arroser au milieu du mois de septembre. Chose impensable il y a quelques années, lorsque « tu risquais encore de voir ta récolte pourrir sur pied aux premières pluies d’octobre ».

D’autres, sur les coteaux de la même commune, ont fait un choix plus radical. Avec d’autres agriculteurs, Fabienne Gomez et son compagnon Bruno Anglade exploitent 96 ha : 40% en prairies, pour leur élevage de porcs gascons, et 60% en cultures. Sur ces coteaux plus escarpés et plus secs, l’organisation est primordiale : « Nos cultures sont en rotation sur sept ans : de la luzerne sous les tournesols, du blé, de l’orge, des pois chiches, puis à nouveau de l’orge, et enfin du tournesol. »

Les cochons vivent tranquillement en plein air, et sont nourris avec l’orge et les déchets des céréales. Pas besoin d’épandre leur lisier, un simple fumier servant d’engrais aux cultures. Zéro labour, zéro chimie, sauf du cuivre et du souffre pour les quelques vignes, assortis au paillage et à une couverture végétale des sols. Quid de l’eau ? Bruno rigole : « On prend ce qui tombe, et on se débrouille. » Lui aussi constate les effets du changement climatique : « Le pire, ce sont les coups de chaleur qui arrivent dès le printemps. Désormais je creuse des mares, de petits trous d’eau, juste de quoi faire le potager. » De toutes manières, les volumes disponibles étant en diminution régulière, « l’irrigation ne sera jamais une solution ». (...)

Depuis l’arrêt du projet de Sivens, un seul autre barrage a été réalisé dans le Sud-ouest, celui de la Barne, à Plaisance du Gers. Construit durant l’hiver 2015, ce cousin de Sivens, dimensionné à un million de m3 (contre 1,5 million pour Sivens) a depuis été jugé illégal. Pour Henry Chevallier, au-delà des initiatives individuelles de paysans bio, « qui savent bien mieux gérer la ressource avec le minimum de consommation », c’est à une réorientation politique qu’il faut procéder : « Nous devons en finir avec ce système quasi mafieux qui subventionne des barrage-réservoir, avec l’appui d’élus soit incompétents, soit intéressés. Il faut au contraire privilégier les petites retenues de quelques centaines de m3, au maximum. »

Absence de volonté politique

Reste à savoir qui soutiendra une telle réorientation. (...)

Boucs émissaires

Alors que le Conseil général leur retire 6,5 hectares de terres humides pour les donner en compensation à leur voisin, le couple devient un bouc émissaire cristallisant la haine anti-zadiste, qui explose sur la zone : bottes de foins sabotées avec des barbelés, menaces au téléphone ou par courrier, blocage des accès à leur maison ou encore, il y a quelques semaines, « un type en moto qui a foncé vers chez nous et cassé la vitre de la porte d’entrée ». Presque la routine. « On essaie de temporiser mais à force, c’est usant », soupire Pierre Lacoste.

Leur ténacité est d’autant plus remarquable que le travail agricole lui, continue envers et contre tout, avec des pratiques plutôt respectueuses de l’environnement (...)

En pleine sécheresse, le gouvernement relance l’irrigation

En attendant, le modèle agro-industriel a encore de beaux jours devant lui. Le 9 août dernier, alors que la sécheresse s’étendait sur le pays, avec 30 départements en situation de crise, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert, et Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, ont annoncé de nouvelles mesures pour la « gestion quantitative de l’eau ». Avec au programme, une relance de la politique d’irrigation, par l’intermédiaire des « projets de territoire ». Leurs annonces ont largement satisfait les organisations professionnelles majoritaires – FNSEA, Jeunes Agriculteurs et Irrigants de France – qui y ont vu « des mesures encourageantes » et « la volonté des deux ministres d’encourager la création de nouveaux projets de stockage de l’eau ».