Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
« Tu es musulman ? C’est un problème » : à Angers, un professeur jugé pour discrimination
Article mis en ligne le 7 avril 2022

Un professeur d’économie, par ailleurs maire LR d’une petite ville, sera jugé le 4 mai pour harcèlement et provocation à la discrimination en raison de la religion. D’après deux plaintes et des témoignages, il a stigmatisé de façon répétée des élèves perçus comme Noirs, Arabes ou musulmans.

(...) Angers (Maine-et-Loire).– Ce jour-là, Rayan* n’en peut plus. Avec sa mère, l’adolescent décide de pousser la porte du commissariat. La veille, son médecin a constaté son état psychologique, ses « crises de larmes », son « sentiment d’injustice » et lui a fait un certificat médical pour qu’il finisse la semaine à la maison, loin du lycée catholique où il étudie. Devant les policiers d’Angers, Rayan confirme sa volonté de porter plainte contre son professeur d’économie-gestion, Frédéric Mortier. Son récit vaudra à celui-ci, le 4 mai prochain, un procès pour « provocation publique à la discrimination en raison de la religion » et « harcèlement ».

Loin de se limiter à un banal incident de vie scolaire, cette histoire raconte le rapport d’un professeur, petit notable local présumé intouchable, à ses élèves perçu·es comme Noir·es, Arabes ou musulman·es. La plainte de Rayan, et sa révélation par Ouest-France, ont conduit la police, la justice et la presse à s’intéresser de près aux méthodes de l’enseignant de 51 ans, par ailleurs maire Les Républicains (LR) d’une commune voisine. En retour, celui-ci plaide le « second degré », crie au « racisme anti-Blanc » et au « procès médiatique ». (...)

Les élèves ont appris à connaître cet enseignant atypique, qui profite de la moindre occasion pour parler de politique, de ce « menteur » d’Emmanuel Macron ou du vaccin contre le Covid (une « merde »). Ses digressions sont devenues si habituelles que, ce jour-là, personne ne se souvient plus vraiment du cheminement qui l’a mené jusqu’à Vercingétorix.

Mais la suite est rapportée de la même manière par plusieurs élèves, à la direction de leur lycée privé comme aux officiers de police judiciaire, selon des documents consultés par Mediapart. Selon eux, Frédéric Mortier évoque la vocation de l’enseignement confessionnel, explique qu’il a choisi d’y enseigner pour répandre « l’appel de Dieu » et estime à haute voix que les lycées catholiques auraient dû rester réservés aux catholiques. La classe réagit, le professeur persiste. « La France est blanche et chrétienne », assène-t-il. Une élève l’interrompt, au milieu du brouhaha, lui rappelle que le lycée n’est pas réservé aux chrétien·nes : « Regardez Rayan, par exemple, il est musulman. »

La réponse fuse, selon plusieurs témoins : « Oh les boules. » À l’adolescent, il lance en substance : « Tu es musulman, Rayan ? Alors ça, c’est un problème. Tu peux changer de religion, tu sais. » (...)

Le parquet a choisi de le faire comparaître également, le 4 mai prochain, pour « dénonciation mensongère ». (...)

Dans un courrier adressé à leur conseillère principale d’éducation que Mediapart a pu consulter, les déléguées de la classe racontent, dans un récit confirmé par d’autres élèves : « Dans la classe, nous avons une élève qui a un accent et qui prend un peu de temps pour lire. Elle lève la main pour lire le document du livre, elle prenait du temps et le prof se “moquait” d’elle. » (...)
Et maintenant ? Le parquet d’Angers tenterait actuellement de mener l’enquête avec diligence. En attendant, le professeur a été mis à pied par la direction académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) de Maine-et-Loire. Son contrôle judiciaire lui interdit, par ailleurs, d’exercer « toute activité d’enseignement ».

Frédéric Mortier est, en revanche, toujours maire de Longué-Jumelles, une commune de 7 000 habitant·es, et vice-président de l’agglomération de Saumur. (...)

Politiquement, le professeur a navigué entre la droite et l’extrême droite au fil de son parcours, se rattachant au Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, puis à Debout la France dont il fut le numéro 2 national aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan, avant de rejoindre LR. Il a même pris sa carte à La République en marche (LREM) en 2019, avant une élection législative partielle pour laquelle il briguait l’investiture de la majorité présidentielle.

Cette étiquette d’élu influent du territoire contribue peut-être à expliquer la surprenante longévité de Frédéric Mortier au lycée Wresinski, malgré les multiples alertes reçues par la direction de l’établissement. (...)

L’ancien élève, aujourd’hui titulaire d’un CAP et salarié dans une entreprise de logistique, attend désormais le procès pour que « le droit soit dit et qu’on ne permette plus à ce professeur d’enseigner dans des lycées ». Il ajoute : « Surtout des lycées qui acceptent des élèves comme nous, qui vivent dans une détresse énorme. Moi, j’ai pu échapper à ce monsieur mais peut-être que d’autres n’auront pas cette chance. Ce que j’ai fait, c’est pour obtenir justice. »