
(...) La farce à l’épreuve du tragique. Serait-elle contre nature cette alliance de ce genre de très particulier, la « farce tragique » où est portée à son comble la tension entre comique et tragique ?
Des insultes aux coups, toute une poétique des supplices se met en place dans la geste ubuesque de la dispute, lorsque le Père Ubu annonce à sa femme les châtiments corporels qui l’attendent : « Torsion du nez, arrachement des cheveux, pénétration du petit bout de bois dans les oreilles, extraction de la cervelle par les talons, lacération du postérieur, sans oublier l’ouverture de la vessie natatoire et pour finir la grande décollation ».
Jamais, à cette date, la fin du XIXe siècle, le comique et le tragique ne s’étaient aussi violemment compénétrés, à l’origine peut-être de ce que les spécialistes nomment aujourd’hui la coulrophobie, la peur panique et pathologique des clowns. (...)
Le genre, la farce tragique ou « farcissure » semble aujourd’hui totalement renouvelé.
Témoin cet échange, il n’est malheureusement pas sur les planches, mais transpacifique, intercontinental :
– Donald Trump : « La Corée du Nord cherche des ennuis. Nous allons résoudre le problème. »
– Kim Jong-Un : « Les salauds d’Américains ne seront pas très heureux de ce cadeau » (un missile balistique intercontinental).
– Donald : « La Corée du Nord se heurtera au feu et à la colère d’une ampleur que le monde n’a jamais vu jusqu’ici. »
– Kim : « Nous sommes aux dernières étapes avant le lancement test de notre missile intercontinental. »
– Donald : « Nous ne pouvons pas laisser un fou avec des armes nucléaires en liberté. »
– Kim : « Nous étudions un plan opérationnel pour faire feu sur l’île américaine de Guam. » (...)
La surenchère et l’escalade, pour l’instant dans les mots, entre les deux Ubus suscite l’extrême inquiétude de la communauté internationale et tout particulièrement de tout le Sud-Est asiatique. Alors que Pékin appelle à la discussion dans un cadre à 6 (Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Japon, Russie et États-Unis), nos deux Ubus s’enferment eux dans un tête-à-tête mortifère.
Le gouvernement français, lui, s’est pour l’instant borné à « saluer la détermination » trumpique. Pour notre part, cédant à un accès de coulrophobie, cette peur panique des clowns, nous posons la question : l’arme nucléaire et le pouvoir d’un seul, à la tête d’un État, d’en disposer, ne sont-ils pas la plus grave menace terroriste jamais connue ?
Allons-nous quitter les traditionnelles formes de la dissuasion nucléaire connues depuis 70 ans, celle du fort au faible ou du faible au fort, pour rentrer dans celle plus aléatoire du fou au fou ? (...)