
Un rapport du parquet général de Paris, que révèle Mediapart, alerte sur le retour de la menace terroriste d’ultradroite. S’appuyant sur sept affaires, il détaille la professionnalisation des groupes, leur facilité à s’armer et les profils hétéroclites des activistes, pour partie bien insérés. Premier volet de notre série.
C’est une petite musique. Insidieuse. En 2017, des projets d’assassinat du candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon et du maire de Forcalquier Christophe Castaner. En 2018, un projet d’empoisonnement de nourriture halal et un autre de s’en prendre au président de la République Emmanuel Macron. En 2019, des lieux de culte musulmans et juifs qui devaient être pris pour cibles. En 2020, la communauté juive de nouveau visée. À chaque fois, les projets ont été déjoués avant le passage à l’acte.
Mais cette musique nauséabonde continue de se faire entendre jusqu’à ces derniers jours. Un groupuscule néonazi qui voulait attaquer une loge maçonnique est interpellé au début du mois, portant à six le nombre de projets d’attentats attribués à l’ultradroite et déjoués depuis quatre ans. Et puis il y a cette attaque qui n’a pas obtenu la qualification terroriste, mais y ressemble à s’y méprendre. Fin 2019, l’octogénaire raciste Claude Sinké tente de mettre le feu à la mosquée de Bayonne, avant de tirer à plusieurs reprises sur deux fidèles, les blessant grièvement. (...)
L’ultradroite violente est de retour. Bien sûr, pas avec la même intensité que le terrorisme djihadiste, qui a fait 264 morts en six ans. De 1986 à nos jours, les actions de groupes se réclamant de l’ultradroite ont entraîné la mort de 17 personnes, selon un décompte effectué par le programme de recherche Vioramil, mené entre 2016 et 2019 à l’université de Lorraine. L’action préventive des forces de l’ordre a permis d’éviter des tueries similaires à celles réalisées par les djihadistes, mais le noyau dur évalué l’an dernier par la DGSI à 1 000 militants d’ultradroite, auxquels s’ajoutent 2 000 suiveurs, inquiète. Surtout avec la multiplication des projets d’attentats.
C’est le constat en tout cas fait par les pouvoirs publics, à l’échelon national ou européen (...)
Mediapart révèle un nouvel élément de preuve, un pavé de 56 pages à en-tête du parquet général de la cour d’appel de Paris. Datant du mois de mars, ce onzième numéro du « Bulletin sur le terrorisme », émis confidentiellement par le ministère public chapeautant le Parquet national antiterroriste (PNAT), est consacré à la menace représentée par l’ultradroite en France.
Son auteur, dont le nom n’est pas mentionné, fait le constat que « depuis 2016, des militants d’ultradroite s’attachent par leurs actes à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Pour étayer son propos, le rédacteur du rapport s’appuie sur les sept affaires d’association de malfaiteurs terroriste attribuées à l’ultradroite et suivies au PNAT (le projet d’attaque ciblant des francs-maçons n’était pas connu à l’époque de la rédaction de ce rapport). De son côté, Mediapart a confronté les conclusions du parquet général à divers procès-verbaux tirés desdites procédures, à des notes confidentielles de la DGSI, des études publiées par des chercheurs, ainsi qu’au fruit de nos précédentes enquêtes.
L’obsession de la guerre civile interraciale (...)
Pour ces groupes d’ultradroite, « profondément imprégnés par de multiples théories du complot », le parquet général de Paris considère que « l’islam et les musulmans s’imposent comme les boucs émissaires les plus fonctionnels ». Un terreau que l’on retrouverait, selon le rapport, dans tous les dossiers en cours d’instruction. Dans l’un d’eux, un protagoniste publie sur sa page Facebook le message suivant : « Rebeux, blacjks [sic], racailles, migrants, dealer, djihadistes : toi aussi tu rêves de tous les tuer. Nous en avons fait le vœu. Rejoins-nous. » En 2019, Mediapart avait révélé les coulisses du site Réseau libre, dont plusieurs membres avaient cherché à perpétrer des attentats visant la communauté musulmane.
Si les populations musulmanes demeurent la cible privilégiée des militants d’ultradroite mis en examen, le parquet général souligne que « l’obsession antisémite demeure » également. Dans l’une des instructions, l’identité virtuelle d’un militant comporte la mention « I hate jews » (« Je hais les juifs »), reportée dans une orthographe volontairement approximative (« ayatjiouz »).
Dans son rapport, le parquet général dresse l’inventaire à la Prévert « des émotions négatives » qui s’expriment dans les affaires actuellement en cours d’instruction : « La haine des immigrés, des migrants, des juifs, des homosexuels, de la République ; un discours profondément islamophobe, antiféministe et misogyne. »
À ce catalogue, il faut ajouter la figure du « traître » qui, selon le parquet général, a pour fonction de « souder la communauté autour d’un contre-modèle militant et renforcer la vision bipolaire et antagoniste du champ politique ». (...)
Pour ces groupes d’ultradroite, « profondément imprégnés par de multiples théories du complot », le parquet général de Paris considère que « l’islam et les musulmans s’imposent comme les boucs émissaires les plus fonctionnels ». Un terreau que l’on retrouverait, selon le rapport, dans tous les dossiers en cours d’instruction. Dans l’un d’eux, un protagoniste publie sur sa page Facebook le message suivant : « Rebeux, blacjks [sic], racailles, migrants, dealer, djihadistes : toi aussi tu rêves de tous les tuer. Nous en avons fait le vœu. Rejoins-nous. » En 2019, Mediapart avait révélé les coulisses du site Réseau libre, dont plusieurs membres avaient cherché à perpétrer des attentats visant la communauté musulmane.
Si les populations musulmanes demeurent la cible privilégiée des militants d’ultradroite mis en examen, le parquet général souligne que « l’obsession antisémite demeure » également. Dans l’une des instructions, l’identité virtuelle d’un militant comporte la mention « I hate jews » (« Je hais les juifs »), reportée dans une orthographe volontairement approximative (« ayatjiouz »).
Dans son rapport, le parquet général dresse l’inventaire à la Prévert « des émotions négatives » qui s’expriment dans les affaires actuellement en cours d’instruction : « La haine des immigrés, des migrants, des juifs, des homosexuels, de la République ; un discours profondément islamophobe, antiféministe et misogyne. »
À ce catalogue, il faut ajouter la figure du « traître » qui, selon le parquet général, a pour fonction de « souder la communauté autour d’un contre-modèle militant et renforcer la vision bipolaire et antagoniste du champ politique ». (...)
Des références idéologiques d’Éric Zemmour au survivalisme
Autre mobile incitant les membres de l’ultradroite à passer à l’acte : une volonté de réécrire l’Histoire, de proposer une version alternative à celle « écrite par les vainqueurs », de défendre la mémoire des vaincus. Dans les groupuscules néonazis poursuivis pour « association de malfaiteurs terroriste », les pseudonymes utilisés par les membres renvoient sans surprise aux codes du IIIe Reich. Si certains activistes semblent davantage vivre dans l’effervescence des préparatifs, sans volonté réelle de mener un attentat, d’autre s’impatientent d’un passage à l’acte qui tarde à se concrétiser. Un membre d’AFO écrit ainsi à un autre : « Quand les cibles vont-elles être définies par le national ? Pourquoi ne le sont-elles pas ? Pourquoi n’obtient-on que des réponses fuyantes ? Les gars en ont marre de se préparer sans savoir à quoi. Je ressens un gros doute s’installer chez les meilleurs. Opérations locales, meurtrières, à envisager ? Halal ? Mosquée ? Ces deux points sont actuellement préparés chez nous par des groupes spécifiques. Quand ils seront prêts, on leur dit quoi ? On leur dit d’attendre ? Et d’attendre quoi ? » (...)
Dernière référence de cette ultradroite violente, la plus glaçante : celle des glorieux prédécesseurs, ceux qui ont perpétré ces 30 dernières années des tueries de masse au nom d’une idéologie d’extrême droite. (...)
Des profils sociaux bien insérés
Haine de l’autre, antisémitisme, peur : les motivations répertoriées sont des marqueurs traditionnels de la mouvance. Les profils, beaucoup moins. Dans son rapport, le parquet général fait le constat que les affaires étudiées ne lui permettent pas « d’identifier un profil type de militant d’ultradroite susceptible de tenter une action armée ». (...)
« Leurs profils sociaux bien insérés tranchent avec l’image de l’ultradroite composée de post-adolescents vivant en marge de la société », écrivent les magistrats.
Dans son étude publiée en début d’année, l’historien spécialiste des extrêmes droites Nicolas Lebourg établit une distinction entre différents groupes : les membres de l’OAS de Logan Nisin, par exemple, proviennent d’un milieu populaire, là où ceux d’AFO sont davantage issus de classes supérieures. (...)
En revanche, il reste une constante, déjà abondamment traitée par Mediapart (...) : la présence de membres des forces de sécurité. D’après le décompte du parquet général, sur les sept affaires actuellement en cours d’instruction, cinq impliquent des militaires ou d’anciens militaires. (...)
Mediapart avait révélé dès le printemps 2018 les inquiétudes de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui avait alerté les pouvoirs publics sur la proportion grandissante de militaires ou de membres des forces de l’ordre ayant intégré des groupuscules d’ultradroite. Les services de renseignement avaient alors « une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires » parmi leurs « objectifs », suivis pour leurs liens avec « l’extrême droite violente ». Soit près du double des objectifs suivis pour une adhésion à l’islam radical, si on en croit les déclarations du ministère de l’intérieur qui, au lendemain de la tuerie à la préfecture de police de Paris, parlait d’une vingtaine de policiers et d’une dizaine de gendarmes suivis pour des suspicions de conversion au fondamentalisme musulman. (...)
Et quand ils ne font pas partie des forces de sécurité, les militants d’ultradroite les plus violents gravitent autour. (...)
La professionnalisation des cellules d’ultradroite (...)
Dans son rapport, le parquet général souligne que dans tous les groupes d’ultradroite poursuivis pour « association de malfaiteurs terroriste », les membres les plus jeunes sont « initiés aux modes d’action lors des séances d’entraînements physiques et à l’apprentissage des règles et méthodes militaires ». Au printemps 2018, la section francilienne d’AFO, composée d’une dizaine de membres, est allée plus loin en s’entraînant au maniement d’explosifs artisanaux. Ce qui provoquera l’accélération de l’enquête judiciaire et l’interpellation des suspects, dont le passage à l’acte semblait désormais imminent.
Les opérations envisagées par les terroristes allaient de l’empoisonnement de la nourriture halal dans les supermarchés au grenadage de fidèles lors de prières de rue, de librairies de littérature salafistes ou encore de simples automobilistes. Via Internet, AFO cherche aux États-Unis de quoi infecter la viande halal, repérant un poison capable de provoquer des hémorragies chez les adultes sains et la mort chez les plus faibles. (...)
Des groupes qui s’arment sans « difficultés »
Sans grande surprise, les militants d’ultradroite manifestent une fascination pour les armes. Bon nombre pratiquent le tir sportif ou la chasse. Selon nos informations, les services de renseignement estimaient à 350, en 2019, le nombre de membres de l’ultradroite possédant légalement une ou plusieurs armes à feu. Parmi eux, 147 font l’objet d’une fiche sûreté de l’État, la fameuse fiche S. (...)
Dans son document de 56 pages, le parquet général de Paris constate que « contrairement aux affaires djihadistes récentes, aucun des dossiers ultradroite en cours d’instruction ne met en lumière d’éventuelles difficultés des acteurs à se procurer des armes ». Un constat partagé au niveau européen. Un rapport confidentiel d’Europol démontrait en 2019 que les groupuscules d’extrême droite investissent dans l’achat d’armes et la confection d’explosifs.
Mediapart a pu consulter le compte-rendu de l’audition, réalisée à huis clos, de Bruno Dalles devant la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France. Celui qui était alors le directeur de Tracfin y détaille les circuits d’alimentation des militants de l’ultradroite, qui passent notamment par une société « dont la procédure de liquidation judiciaire a anormalement duré ». Ladite liquidation, décidée en 2015, était toujours en cours en 2018.
Cela permettait de s’en servir comme d’une couverture pour des achats de fusils d’assaut, selon Bruno Dalles. (...)
Si certains activistes semblent davantage vivre dans l’effervescence des préparatifs, sans volonté réelle de mener un attentat, d’autre s’impatientent d’un passage à l’acte qui tarde à se concrétiser. Un membre d’AFO écrit ainsi à un autre : « Quand les cibles vont-elles être définies par le national ? Pourquoi ne le sont-elles pas ? Pourquoi n’obtient-on que des réponses fuyantes ? Les gars en ont marre de se préparer sans savoir à quoi. Je ressens un gros doute s’installer chez les meilleurs. Opérations locales, meurtrières, à envisager ? Halal ? Mosquée ? Ces deux points sont actuellement préparés chez nous par des groupes spécifiques. Quand ils seront prêts, on leur dit quoi ? On leur dit d’attendre ? Et d’attendre quoi ? » (...)