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Un an après l’expulsion, l’héritage vivace de la Zad de Notre-Dame-des-Landes
Article mis en ligne le 11 avril 2019
dernière modification le 9 avril 2019

Le 9 avril 2018, après des années d’occupation et d’expérimentations, la Zad de Notre-Dame-des-Landes était expulsée dans une répression policière intense. Un an après, des personnalités confient à Reporterre quel héritage ils portent de cette alternative humaine et politique sans précédent.

Geneviève Pruvost : « La Zad pose cette question : est-ce que j’ai besoin de mille autorisations pour vivre ou est-ce que je peux inventer ma vie ici et maintenant ? » (...)

Je suis allée pour la première fois à la Zad au moment des expulsions de 2012, avec des étudiants. Après la manifestation de réoccupation, l’énergie était immense. Ce lieu assiégé accueillait énormément de passage, une convergence des comités de soutien. On sentait l’envie de prêter main-forte dans cette confrontation totale entre l’État et des gens qui veulent vivre autrement.

J’y suis retournée, aimantée par un accueil inconditionnel. La veille de Sème ta Zad, en 2013, je suis arrivée en pleine nuit, mais je n’ai jamais douté de trouver un endroit où dormir. Au pire, je me serais mise dans la salle commune, à côté du poêle. Je savais que ma minuscule présence, comme des milliers d’autres, serait accueillie à bras ouverts. Quelles que soient ses capacités physiques, le temps dont on dispose, sans qu’on ait à dire qui on était ou à être introduit, on peut contribuer et trouver une place.

Quand je rencontre quelqu’un qui vient pour la première fois, je lui donne des infos pour qu’il puisse se repérer, comme on l’a fait pour moi, en sachant qu’il les répétera le lendemain à quelqu’un qui viendra d’arriver. La capacité d’accueillir et d’être accueillant se répercute immédiatement. C’est la puissance de ce mode d’organisation très accessible !

En 2012-2013, les lieux n’étaient pas vraiment appropriés. Pour un article, je me suis intéressée aux occupants d’une même cabane : tous les deux mois, il y avait une nouvelle personne ! (...)

Il n’y a pas d’autre lieu où l’on puisse marcher, pique-niquer, s’autoorganiser sur autant d’hectares en étant si loin de l’État. La Zad pose cette question : est-ce que j’ai besoin de mille autorisations pour vivre ou est-ce que je peux inventer ma vie ici et maintenant ? Je suis reconnaissante envers ces gens qui ont le courage de vivre cette vie, en prenant tous les risques. (...)

Alessandro Pignocchi : « La Zad est suffisamment grande pour qu’on ait la sensation qu’elle est l’ébauche d’un monde autre » (...)

ce que j’y ai trouvé à largement dépassé mes espérances. Ces idées, sur lesquelles je travaillais jusque-là de façon théorique, étaient ici réalisées en acte. Sur la Zad, l’absence d’une sphère économique autonome et surplombante libère les espaces nécessaires pour tisser des relations affectives, de sujet à sujet, avec plantes, animaux et territoire, et ainsi réintégrer ce qui ailleurs relève de « l’environnement » au cœur de la vie sociale. Sur place, personne n’utiliserait d’arguments de type « services écologiques » pour justifier son intérêt pour une mare ou une prairie. Personne ne dirait qu’il faut défendre la forêt de Rohanne parce qu’on en tire du bois.

Les relations de sujet à sujet s’expriment notamment dans l’élevage. (...)

On peut tous, ponctuellement, avoir des relations de sujet à sujet avec des animaux ou des plantes. Mais sur la Zad, donc sur un territoire tout de même relativement étendu, c’est ce mode de relation qui fonde le rapport au territoire et à ses habitants, humains et non-humains. La Zad est suffisamment grande pour qu’on ait la sensation qu’elle est l’ébauche d’un monde autre.

Christophe Laurens : « Sur la Zad, on croit à l’avenir, toutes les heures vécues ont du sens et sont brassées dans une même dynamique politique » (...)

Ce qui m’a marqué à la Zad, c’est cette ambition totale de vouloir vivre autrement. Partout ailleurs règne le sentiment que le monde va mal, que faire autrement est compliqué, voire impossible. Sur la Zad, on croit à l’avenir, toutes les heures vécues ont du sens et sont brassées dans une même dynamique politique. Pour moi, c’est devenu un lieu ressource, qui m’aide à vivre. Cette espérance dans l’air n’est pas courante.

Stéphane Betbeder : « Je suis une des pousses des mauvaises herbes de la Zad » (...)

À La Rolandière, j’ai discuté avec des antispécistes. Je les trouvais radicaux, mais après ces échanges je les comprends de mieux en mieux. Je suis végétarien depuis sept ans, je réfléchis à devenir végétalien. J’ai aussi rencontré des néo-ruraux dont les vaches, qui paissaient tranquillement, avaient l’air bien. Ça m’a fait plaisir de voir ces animaux considérés non pas comme des machines à produire mais comme des individus. Quand j’ai commencé à travailler sur ma bédé, qui raconte le parcours d’animaux obligés de fuir un havre de paix et leur crainte de l’abattoir, ce havre de paix était forcément la Zad.

La Zad m’a lancé sur un autre chemin. J’ai décidé de quitter la ville. Il y a dix jours, j’ai participé à l’action d’Extinction Rebellion à Paris. Si je n’étais pas passé par la Zad, je ne pense pas que je me serais engagé comme ça. Je suis une des pousses de ces mauvaises herbes !

Nathalie Quintane : « Le sentiment de liberté qu’on éprouve sur la Zad permet de réaliser à quel point on se sent surveillé au-dehors » (...)

Pour moi, la Zad, c’est ça : un lieu où expérimentations et réflexions vont ensemble, sans cette séparation stupide entre les intellos et les manuels qui tue notre capacité d’agir.

Christophe Bonneuil : « La Zad permet d’explorer des façons de faire vivre ensemble, sur un même territoire, des humains et des non-humains qui ont des pratiques très différentes » (...)

Lors d’une réunion organisée par les zadistes avec les habitants des villages alentour, j’ai été frappé par les différences de postures. Les habitants disaient « il faudrait que » — « il faudrait que quelqu’un ramasse les poubelles » — dans une attitude de citoyens passifs, consuméristes. À l’inverse, les zadistes se sentaient responsables de tout. Cela m’a ému. J’ai pensé que trois jours plus tôt, chez moi à Montreuil, j’avais entendu comme un coup de feu dans la rue, mais je n’étais pas sorti de chez moi. Dans notre monde, on peut passer à côté d’un sans-abri en train de crever de faim dans le métro. Le sujet politique qui se construit à la Zad, et peut-être aussi sur les ronds-points des Gilets jaunes, me semble plus intéressant que le sujet consumériste et individualiste de nos démocraties qui ne vont pas bien.