
Au creux des monts du Lyonnais, en Auvergne-Rhône-Alpes, quatre fermes laitières bio ont mutualisé leurs forces pour fonder une fromagerie collective. Leur objectif, se réapproprier leurs circuits d’alimentation. Avec un maître-mot : relocaliser.
(...) D’une voix lente, le producteur de lait partage sa vision du métier. « La transformation permet de maîtriser son produit et son prix, d’être en contact avec le consommateur et de créer de l’emploi. Il y a aussi une forme de reconnaissance, quand une petite mamie me dit que mes yaourts ont le goût de ceux de son enfance. » Car Adrien transforme la moitié de sa production en yaourts, l’autre part pour AlterMonts, une fromagerie collective qu’il a créée avec trois autres fermes autour des valeurs du bio, de l’agriculture paysanne et du partage avec les clients.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant de se lancer dans cette belle aventure, les citernes de Biolait collectaient l’intégralité de son lait, une collaboration qui laissait un goût amer au paysan. « Biolait revend le lait à tous les industriels qui ont une gamme bio, dans toute la France. Cette filière bio est de moins en moins crédible. À quoi ça sert de produire un lait de qualité si c’est pour qu’il soit réduit en poudre dans l’Est ou en Chine ? interroge l’éleveur. Pour moi, faire du bio, c’est relocaliser, créer de l’emploi et arrêter de saccager la planète. » (...)
Relocaliser pour garder les valeurs du lait bio
D’autant que l’essor fulgurant de la production, mais aussi de la demande en lait bio, a attisé l’appétit des gros opérateurs, tels Bel et Elle & Vire, qui ont investi ce marché. (...)
« Il y a une tendance de fond vers le bio, mais le bio actuel ne nous plaît pas. Sur notre logo, nous précisons qu’il s’agit d’une agriculture "biologique et paysanne", dit Adrien en insistant sur le dernier terme. C’est pour cela qu’on veut être sur du local, que les gens puissent mettre une bouille sur leurs fromages. » Sans parler des considérations purement économiques. Si Biolait paie 450 euros les 1 000 litres à Adrien, la fourchette de prix idéale se situerait selon lui entre 500 et 600 euros. (...)
« La relocalisation de l’économie, c’est un pied de nez à la mondialisation. »
Pour reprendre pleinement la main sur le devenir de son lait, le fermier en est arrivé à la conclusion qu’il n’existe qu’une solution : la relocalisation. (...)
Une union entre quatre fermiers
L’idée a germé doucement : pourquoi ne pas créer une fromagerie coopérative ici même, dans les monts du Lyonnais, et permettre aux agriculteurs de transformer eux-mêmes leur lait ? (...)
Une union entre quatre fermiers
L’idée a germé doucement : pourquoi ne pas créer une fromagerie coopérative ici même, dans les monts du Lyonnais, et permettre aux agriculteurs de transformer eux-mêmes leur lait ? (...)
Mener à bien une telle entreprise n’a rien d’une balade de santé. Adrien, Gilbert, Claude et Jérôme ont sollicité l’Inter-Association de formation collective à la gestion (AFOCG) locale, qui les a aidés dans leurs démarches administratives, les dossiers de soutien financier, la comptabilité, la gestion et surtout à gagner en cohésion au fil des réunions. (...)
Un nom a surgi au détour des conversations : AlterMonts. Le slogan aussi résume à lui seul leurs intentions : « Un autre fromage est possible. » (...)
« C’est plus que du fromage, il y a tout un tissu économique derrière »
Un large fromage est devenu l’emblème de la coopération des quatre fermes, baptisé la « meule AlterMonts ». Les fermiers transforment aussi leur lait en tome et en raclette, des mets faciles à vendre en grande quantité pour limiter les pertes. Les premières pierres de la fromagerie coopérative ont été posées fin 2019 à Saint-Denis-sur-Coise, un petit village des monts du Lyonnais situé à égale distance des quatre fermes. En cohérence avec leur projet de relocalisation et de création d’emplois, le chantier a été confié à des architectes locaux. « Nous avons moulé notre premier fromage le 18 juin 2020 », se rappelle Adrien avec fierté. Depuis, AlterMonts parie sur l’intelligence collective... (...)
À quatre fermes, ils sont neuf paysans, un fromager, et en recruteront bientôt un second. (...)
AlterMonts semble parti pour faire des petits. Des éleveurs curieux sont venus de Marseille, du Beaujolais et même de Normandie pour rencontrer l’équipe. (...)
« C’est à nous, les paysans, de faire bouger les choses à notre échelle. »
L’effet d’aubaine fut immédiat. La crise sanitaire a permis aux fermiers de se bâtir une clientèle en quelques jours. « Il y avait une vraie demande des gens du coin, explique Adrien. Nous n’étions pas très connus dans les monts du Lyonnais, maintenant si. Le confinement nous a permis de nous implanter ultra-localement. » Un marché est installé dans la foulée à la ferme du Val Fleury. C’est un succès, avec environ soixante-dix clients deux fois par semaine. Au déconfinement, forts de cette expérience, les fermiers ont choisi de maintenir un marché hebdomadaire à la fromagerie. Et leurs produits partent toujours comme des petits pains. Sur l’année 2020, 300 000 litres de lait ont été transformés à la fromagerie. Les paysans visent les 400 000 litres par an pour atteindre l’équilibre financier. (...)
Tranquillement, Adrien mène ses bêtes tout en devisant : « Aujourd’hui, il y a un fossé dans le monde agricole et il risque de se transformer demain en canyon. D’un côté, les gens qui vont penser l’industrialisation à son maximum avec des drones, des robots… Et de l’autre, une agriculture paysanne ancrée sur son territoire. Avec le confinement, les gens ont pris de nouvelles habitudes, mais c’est à nous, les paysans, de faire bouger les choses à notre échelle. »