
Manuel Valls a pris de court le Salon du Livre de Paris avec une visite très programmée mais "inattendue", parce que réalisée à titre privé. Accessible malgré les gardes du corps, le Premier ministre a accroché au revers de sa veste un badge de soutien aux auteurs (merci Booknode), mobilisés hier pour une grande marche. Aurait-il besoin de se racheter une image, après la mise en place d’un système de censure administrative ?
La déambulation de Manuel Valls dans les travées du Salon du Livre de Paris est précédée par les attentats du mois de janvier, évidemment, et la lutte contre le terrorisme. Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place une politique volontariste de prévention des actes terroristes ou de la radicalisation, incarnée par ces Français partis faire le djihad en Syrie. Or, l’un des outils de l’arsenal législatif pour amplifier ce combat réside dans le blocage des sites faisant l’apologie d’actes de terrorisme ou invitant à provoquer des actes de terrorisme. Une mesure qui, en réalité, date de 2014, bien avant les attentats.
Le texte a été adopté le 18 septembre 2014 à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi antiterroriste de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Il donne aux autorités administratives le pouvoir de décider du blocage d’un site web en 24 heures, avec l’envoi d’une demande de retrait aux éditeurs et aux hébergeurs des sites considérés comme faisant l’apologie du terrorisme.
Sans l’intervention d’un juge, ce qu’avaient dénoncé des syndicats de la magistrature. « Aujourd’hui comme hier, ce projet de loi antiterroriste est placé sous le sceau de l’urgence (procédure législative accélérée) et réduit à la portion congrue le débat démocratique par l’invocation de la menace terroriste » soulignait le Syndicat de la Magistrature, qui prévenait d’un « déséquilibre flagrant » entre la protection des citoyens et celle de la préservation de « la démocratie et [d]es libertés ».
Ce déséquilibre a carrément basculé, dès la première vague de blocage administratif : cinq sites ont été visés, et bloqués par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), sur simple demande. Parmi ces 5 sites, Islamic News, un portail d’information sur le monde musulman : le webmaster de ce site a fait parvenir une lettre ouverte au site Numerama, déplorant une censure de l’État français.
Et non monsieur Cazeneuve, aucun groupe n’animait le site islamic-news.info. Aucun groupe ni organisation proche de l’Etat islamique ou d’Al-Qaïda ne l’animait, ni ne le finançait. Le site était dirigé par un seul homme, qui vit en Europe et qui est inscrit légalement sur les registres d’OVH et qui paie avec son propre compte en banque le serveur qu’il loue auprès du numéro 1 français. [...]
Je n’avais besoin que de 50 euros par mois pour faire tourner le site et lui donner une allure professionnelle, avec un certain succès d’ailleurs. Des journalistes professionnels m’ont même contacté pour me proposer des articles. Un photojournaliste palestinien de Gaza m’avait offert ses services lors de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, durant l’été 2014. Le nouvel Observateur a cité l’un de mes articles comme source dans la rédaction de l’un de ses billets sur la Syrie. Wikipedia a indexé plusieurs de mes articles comme « références sérieuses ». Bref, pendant près de 2 années, il n’y avait rien à redire. Personne ne trouvait le moindre argument pour démontrer notre illégalité. En 2 ans, j’ai attiré près d’un million de visiteurs uniques. Aucun n’a jamais trouvé élément à contester. (l’intégralité de la lettre, ici)
Le site a donc été fermé par le gouvernement français, et la totalité des moyens de communication du média (pages Facebook, y compris celle du fondateur), supprimée.
Le ministère de l’Intérieur a finalement révélé les raisons qui l’ont poussé à fermer le site Islamic News : le site avait « reproduit – sans le mettre en perspective – un discours d’Al-Baghdadi dans lequel le leader de l’EI invite à “déclencher les volcans du djihad partout”, et héberge le fichier audio de ce discours in extenso ». Explication peu satisfaisante, dans la mesure où « le rédacteur ne commente ni favorablement, ni défavorablement les déclarations d’Al-Baghdadi », comme l’a relevé Arrêt sur Images, cité par Numerama. (...)