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Un nouveau projet d’usine d’eau minérale en bouteilles plastique suscite l’incompréhension
Article mis en ligne le 19 novembre 2018

Alors que les ressources en eau sont sous tension, et que la pollution plastique a tous les aspects d’un désastre planétaire, est-il encore raisonnable de mettre de l’eau minérale en bouteilles ? A Divonne-les-Bains, ville française collée à la frontière suisse, la question est tranchée : une usine doit voir le jour, et produire 400 millions de bouteilles par an. Les élus espèrent ainsi voir rayonner l’image de la ville. Mais alors que le pays de Gex manque déjà d’eau, et que les conséquences écologiques du modèle touristique local sont de plus en plus palpables, le projet est loin de faire l’unanimité. Reportage.

« Mélodie » et « Harmonie ». Tels sont les doux noms des forages qui seront peut-être bientôt exploités à Divonne-les-Bains (Ain) par la société Andrénius, une petite société basée à Perpignan, pour alimenter sur place sa future usine d’embouteillage. L’entreprise compte y puiser jusqu’à 80 m3 d’eau par heure, pour une production annuelle de 400 millions de bouteilles d’eau minérale. Le 12 juin dernier, un cap important a été franchi avec le dépôt de la demande de permis de construire de l’usine, qui doit être dotée de deux chaînes d’embouteillage, l’une pour le plastique – qui représentera 90 % de la production – et l’autre pour le verre.

Ville thermale collée à la frontière suisse et proche de Genève, réputée pour ses cures, Divonne lorgne envieusement sur ses cousines d’Évian et de Thonon, sur l’autre rive du lac Léman. La marque Evian (groupe Danone) y a récemment modernisé son usine, revendiquée comme « la plus grande du monde », d’où sortiraient près de 2 milliards de bouteilles par an. La commune de Divonne, qui a déposé la marque « Divonne-les-bains », souhaite elle aussi avoir sa gamme d’eau minérale en bouteille. « C’est bien pour l’image de la ville », se réjouit l’une de ses 9280 habitants. L’objectif est assumé : ces bouteilles seront vendues en France et exportées vers le marché international, développant l’image de marque et la renommée de la commune. Si la question du rayonnement importe tant, c’est parce qu’ici le tourisme est un moteur économique.

Des bénéfices avant tout touristiques (...)

Selon Roger Matty, président de deux associations locales de pêcheurs [1], l’eau manque déjà dans le pays de Gex. Le tourisme de luxe, qui en consomme des quantités colossales, serait justement en cause selon lui : « Il y a des golfs partout, qui en consomment des millions de litres pour l’arrosage ! » (...)

Aux golfs s’ajoutent d’autres activités comme l’équitation, qui a poussé de nombreux agriculteurs locaux à produire uniquement du foin pour nourrir les chevaux de loisir, au détriment d’autres usages. Le tourisme de luxe apparaît en décalage avec les perspectives de manque d’eau et de nourriture pour les décennies à venir. Malgré de potentielles retombées économiques locales, les opposants au projet d’usine tentent de faire entendre la menace environnementale plus large qu’incarne ce tourisme, tout comme la production d’eau en bouteille en elle-même.

Des ressources locales insuffisantes

Outre le tourisme, Eau bien commun insiste sur la pollution qui serait générée par le projet. (...)

Ces craintes liées à la surconsommation interviennent dans un contexte local d’épuisement des réserves d’eau. Mi-novembre, l’Ain est d’ailleurs toujours en alerte sécheresse, avec des restrictions sur les prélèvements d’eau. « C’est aberrant de pomper encore plus, s’agace Roger Matty, écœuré. On est en train de tout détruire. » Depuis 2009, le pêcheur assiste impuissant à l’assèchement progressif de nombreuses rivières des alentours. (...)

Gex importe de l’eau suisse

Une partie de l’eau du réseau public gessien est donc importée de Suisse, à des prix plus hauts que l’eau locale pour les collectivités. (...)

80 camions par jour pour évacuer l’eau en bouteilles (...)
Pour le transport des bouteilles, il n’y a pas d’alternative aux camions : la ligne de train qui traversait le pays de Gex est fermée depuis plusieurs années. En octobre 2016, le journal local Le Dauphiné Libéré annonçait un chiffre de 80 camions par jours. « Tout cela est contradictoire par rapport à l’écologie, à ce que l’on devrait faire aujourd’hui », commente encore une mère de famille divonnaise. (...)

Ces préoccupations environnementales peinent à se faire entendre face aux enjeux économiques. Les soutiens du projet mettent en avant l’argument séduisant de l’emploi. Les postes qui vont être créés grâce à l’usine seraient au nombre d’une vingtaine. Eau bien commun, dans une pétition en ligne, nuance les vertus de la future usine dans ce domaine. Affirmant qu’une « usine moderne de mise en bouteille en Europe sera fortement automatisée », le collectif considère que les postes recherchés seront peu qualifiés. « Afin d’être compétitifs sur le marché, ces postes seront payés à des salaires faibles », écrivent-ils.

Autre argument économique pour la mairie : la concession d’exploitation lui rapportera des recettes. C’est pour cette raison que la liste municipale d’opposition « Divonne autrement » (sans étiquette) a approuvé le projet malgré ses réticences sur les aspects écologiques. « Le plus important pour nous, pour avoir dit oui au projet, c’est que la dotation globale de fonctionnement de Divonne a déjà diminué de 50% », indique Jean Di Stefano, élu sur la liste. Il voit les royalties que devrait percevoir la commune sur la commercialisation de l’eau comme une solution pour pallier cette réduction budgétaire.

Des pouvoir publics impuissants, voire complaisants (...)