
Les attentats du 13 novembre à Paris, leurs 130 victimes au sein de la population ont provoqué un choc émotionnel légitime et partagé. La douleur issue de ces nouveaux meurtres d’une violence inouïe ne doit cependant pas interdire une réflexion de fond sur leur contexte, et sans réduire celui-ci au périmètre étroit des apparences.
La France, qui doit nécessairement réagir à ces attentats, a malheureusement opté pour une réponse qui a déjà prouvé qu’elle était inadaptée et contre-productive.
Le Proche-Orient est en feu en Syrie, en Irak, au Sinaï, au Yémen. Nous pourrions prolonger ce sombre tableau vers la Libye et l’Afghanistan. Sur ces foyers de sang viennent souffler les intérêts d’acteurs régionaux comme l’Iran, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte ; internationaux avec les États-Unis et plus récemment la Russie — pour ne citer que les principaux. Tous les pays de la région, s’ils ne sont pas eux-mêmes des théâtres de guerres sont directement ou indirectement partie prenante. Une seule exception peut-être : le sultanat d’Oman, qui poursuit sa stratégie politique d’intermédiaire entre les mondes sunnites et chiites. Écheveau où des intérêts opposés ou divergents s’entrecroisent, se superposent, s’imbriquent, se nourrissent aussi les uns des autres. Gigantesque orgie de confrontations confessionnelles — nourries par l’opposition de l’Arabie saoudite à l’Iran — , d’intérêts de pouvoirs familiaux, religieux, ethniques, d’appétits de leadership ou de puissance pour certains, de préservation de leur existence pour d’autres. Aucun n’est blanc ou noir, sauf pour des regards partiaux et compromis dans l’un ou l’autre des camps. La France veut rassembler autour du combat contre l’organisation de l’État islamique (OEI) ? Soit, mais quid des priorités des acteurs régionaux ? (...)
De ce champ chaotique qu’aucun acteur ne contrôle, s’étend et prospère le djihadisme comme jamais il n’avait prospéré, avec des branches et sous-branches toujours plus étendues et actives, en Syrie, en Irak, au Yémen, en Égypte, mais aussi au Liban et en Turquie. Autrefois limité et « hors-sol », il se crée des territoires, avec « l’État islamique » à cheval sur la Syrie et l’Irak, mais aussi avec AQPA au Yémen. Des allégeances se ramifient en Libye, dans le Maghreb, dans le Sahel. Ses noms évoluent, ses formes changent, mais le phénomène s’accroit à tel point qu’il s’inscrit dans l’agenda de tous les acteurs impliqués au Proche-Orient et au-delà, jusqu’aux rues de la France. (...)
Un mouvement politique qui manipule le lexique religieux
Depuis le 11 septembre 2001, le « combat pour la civilisation » et pour faire « prévaloir la paix et la liberté », lancé par le président américain Georges W. Bush pour une « guerre globale contre le terrorisme » n’a proposé et appliqué qu’une réponse sécuritaire au djihadisme. Nous voyons le résultat de cette pax romana guerrière dans ce qu’est devenu le Proche-Orient aujourd’hui. Les mêmes mots et principes d’action sont prononcés aujourd’hui par le président de la République française François Hollande, en réaction aux attentats commis en France. Bis repetita. N’a-t-on rien appris ? (...)
On n’abat pas une idéologie politique avec une opération militaire, mais avec des actions politiques. Le champ de la diplomatie est immense, mais elle échouera si elle ne tient pas compte de ce qui a fait naître et qui alimente l’idéologie du djihadisme dans ses différents points d’application. Elle sera vouée à l’échec si, par incapacité et irresponsabilité, elle ne vise que le court terme. (...)
Avec des réponses uniquement sécuritaires, la France et ses alliés satisfont aux attentes des djihadistes. Ils ont déjà gagné cette première bataille.
Paris a soutenu tous les autoritarismes
Dans son discours du 16 novembre 2015 devant le Parlement réuni à Versailles, François Hollande déclare avec force que le but des terroristes est de s’attaquer aux valeurs que la France défend « partout dans le monde », et justifie sa décision de « guerre » contre l’OEI par la défense de ces valeurs. Mais comment la France défend-elle ses valeurs « partout dans le monde » ?
Limitons-nous à l’histoire récente et regardons la lisibilité de la politique étrangère française. La France a soutenu tous les régimes arabes, du Maghreb au Machrek, avant le vent des Printemps. (...)
Et que penser du soutien inconditionnel à Israël, quand la France va jusqu’à approuver sa campagne meurtrière de bombardement de Gaza en 2014, alors que le gouvernement de cet État viole le droit international en toute impunité depuis des décennies dans les territoires palestiniens qu’il occupe ? Que dire aussi de la compassion sélective exprimée par la France envers les minorités chrétiennes de Syrie et d’Irak alors que souffre tout autant l’immense majorité des populations musulmanes de ces régions ? Les valeurs de la France laissent penser qu’elles ont une acception différenciée. Le ressentiment est une clef fondamentale. Comment ne pas comprendre que ces errements viennent le renforcer et contribuer à le fédérer dans ce que l’on peut nommer une oumma du ressentiment, qui se prolonge aussi dans le territoire national français ? (...)
Il y a deux façons de répondre aux attentats qui sont survenus en France. La première est d’en dénoncer les auteurs, l’organisation à laquelle ils se rattachent — en l’occurrence l’OEI — et de s’acharner à les détruire dans leurs périmètres territoriaux et humains ainsi que leurs moyens physiques de subsistance, filières de financement et autres. C’est une approche sécuritaire technique, militaire. Suivie depuis quinze ans par les États-Unis avec des moyens considérables, elle se solde par un échec patent.
La seconde est d’envisager l’ensemble des déterminants qui ont provoqué la naissance et le développement de l’idéologie à laquelle s’est greffée cette organisation ainsi que les autres de même nature qui l’utilisent pour leur propres fins, en prenant également en compte que pour chacune d’elles s’ajoutent des paramètres spécifiques de développement (politiques, irrédentistes, sociétaux). C’est une approche politique et diplomatique.
François Hollande a mobilisé la France et ses alliés autour de la première solution, sécuritaire et militaire. C’est un déni total du fait que le djihadisme est le fruit d’un ressentiment accumulé. (...)