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[Attac33] Le Ptitgrain n°322
Une ZAD de dimension nationale
Jean-Luc Gasnier
Article mis en ligne le 13 avril 2015

Selon les organisations syndicales CGT, FO, FSU, Solidaires, participant à la manifestation du 9 avril contre l’austérité, ce fut « une journée de mobilisation réussie ».

Par ces temps de dépression militante et revendicative, 300.000 manifestants (le chiffre avancé par la CGT), ce n’est pas rien, ce n’est pas insignifiant, mais peut-on réellement parler de « succès retentissant » alors qu’il en aurait fallu 10 fois plus pour faire, éventuellement, reculer le gouvernement ?

La manifestation extraordinaire du 11 janvier risque de rester longtemps encore l’étalon de référence en matière de mobilisation et de reléguer tous les mouvements de protestation au rang de phénomènes mineurs, de troubles sporadiques négligeables, de prurits démocratiques qu’il vaut mieux ignorer pour ne pas les aggraver. « Je suis Charlie », ce cri lancé en chœur dans un moment de communion artificiel et passager, n’en finit pas de produire ses effets pervers. Aujourd’hui, le rappel incessant des attentats et du risque associé au terrorisme islamique permet au gouvernement de revisiter l’unité nationale à la sauce entrepreneuriale. L’évènement traîne encore derrière lui sa queue de comète aveuglante et c’est une formidable opportunité pour accélérer les réformes en faveur du patronat, affaiblir encore la république, et muscler les dispositifs de surveillance destinés à prévenir et réprimer toute déviance éventuelle.

Les lois régressives se succèdent et, durant ce printemps, nous sommes véritablement confrontés à un phénomène de grandes marées libérales qui sapent les bases de notre socle républicain déjà bien fragilisé et qui réduisent, voire détruisent, les protections des travailleurs salariés et des citoyens.

Après la loi Macron qui, selon les dires d’un membre du PS, Gérard Filoche, est « la pire loi que la gauche ait proposée », la loi Rebsamen sur le « dialogue social » menace à son tour de nombreux droits acquis et poursuit la même logique, celle du renforcement de la liberté patronale au détriment des droits des salariés.

La loi de santé, présentée par Marisol Touraine, balise les voies d’accès à notre système de protection sociale pour les financiers et les assureurs privés derrière la mesure du tiers payant, l’alibi de gauche, le paravent médiatique destiné à masquer des objectifs moins avouables mais aux répercussions financières beaucoup plus lourdes à terme pour les malades.

Le projet de loi sur le renseignement, conséquence directe des attentats du mois de janvier, est sans doute le plus dangereux car il tisse la toile d’un état policier. Il sera débattu à partir du 13 avril à l’Assemblée nationale et il est condamné par de nombreux acteurs du monde judiciaire et associatif, notamment par l’Observatoire des libertés et du numérique (1) qui estime dans un communiqué que « la liberté et la sûreté, droits naturels et imprescriptibles reconnus par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, sont en péril ». Le juge antiterroriste Marc Trévidic considère que cette loi « ouvre la voie à la généralisation de méthodes intrusives, hors du contrôle des juges judiciaires, pourtant garants des libertés individuelles dans notre pays." Mais la dernière « attaque terroriste » sur les services informatiques de la chaîne TV5 Monde permet à Bernard Cazeneuve de rappeler fort opportunément que « Les événements d’hier ont montré que ceux qui menacent la liberté d’expression, ce ne sont pas les services de l’Etat [...] mais bien ceux qui attaquent les rédactions pour les empêcher d’exercer leur métier. »

Il n’est bientôt pas un ministre de ce gouvernement qui n’ait attaché son nom à une loi de régression démocratique ou sociale.

Et face à ce tsunami législatif d’une ampleur et d’une violence jamais égalées, les syndicats continuent à employer des méthodes qui, en des temps de mobilisation plus glorieux, ont maintes fois fait la preuve de leur inefficacité. En matière de défense politique, Jacques Vergès affirmait qu’il existe deux types de procès : le procès de connivence et le procès de rupture ; le premier reconnaît l’ordre établi, le second le conteste et refuse de s’inscrire dans le cadre imposé.

Aujourd’hui, les défilés dans la rue qui rassemblent derrière leurs bannières des syndicalistes à des dates et à des endroits convenus, négociés avec les autorités, peuvent être considérés comme des mouvements de protestation de connivence. Ces formes de contestation ne peuvent pas fragiliser un pouvoir déterminé et qui démontre chaque jour qu’il n’entend pas respecter les citoyens ; elles s’inscrivent dans le cadre du fonctionnement normal d’institutions dévoyées. Elles ne peuvent qu’épuiser et lasser des troupes déjà bien essoufflées, désabusées, défaites avant d’avoir combattu. Ces défilés de connivence sauvent la mise aux leaders syndicaux qui y trouvent l’occasion d’affirmer leur opposition, de compter leurs troupes, de produire du travail de dirigeant syndicaliste, mais condamnent le peuple et asphyxient progressivement le mouvement social. En bref, « les chiens aboient, la caravane passe ».

Pourquoi persister dans cette stratégie de l’échec ? N’existe-t-il pas d’autres formes de manifestations qui montreraient plus clairement notre volonté de rupture avec un système insoutenable ? Les syndicats ne savent-ils rien proposer d’autre ?

Si tous les élus frondeurs du PS, si tous les syndicats qui ont défilé ce 9 avril, si toutes les forces alternatives de gauche, se mettaient à organiser, à l’image des indignés ou du mouvement Occupy, des sit-in devant nos palais nationaux et en particulier devant l’Elysée, nous pourrions alors, peut-être, véritablement commencer à résister, commencer à exister pour ce gouvernement.

Il nous faut rêver à l’occupation, à la réappropriation de nos palais nationaux qui ne servent plus les intérêts du peuple mais qui sont des temples dévoués au culte du veau d’or, au service de l’argent et des intérêts d’une toute petite oligarchie.

Aujourd’hui, il nous faut une ZAD de dimension nationale.

(1) l’Observatoire des libertés et du numérique regroupe des associations comme la Ligue des droits de l’Homme et la Quadrature du Net ainsi que des syndicats (syndicat de la Magistrature entre autres), mais aussi des associations comme Attac ou Amnesty International France.