
La ville de Valence renonce à vendre un terrain à une école privée musulmane hors contrat après des alertes émises par la préfecture et par « Charlie Hebdo ». Des documents obtenus par Mediapart démentent pourtant l’intégralité des accusations portées par le journal satirique.
Dans la Drôme, il existerait donc une école privée hors contrat, accusée de « séparatisme », proche des Frères musulmans et soutenue par une municipalité Les Républicains (LR). C’est en tout cas l’accusation lancée par Charlie Hebdo depuis le mois de juillet et reprise dans de nombreux articles depuis.
Initialement, pourtant, la mairie de Valence, où est situé l’établissement, devait voter la vente d’un terrain pour que l’école privée Valeurs et réussite, anciennement appelée Iqra et créée en 2012, puisse s’étendre et ouvrir de nouvelles classes. Mais tout s’est arrêté net le 3 octobre. La vente du terrain de 8 400 m2 a été annulée en conseil municipal, après des pressions de la préfecture de la Drôme, subitement opposée au projet. (...)
Les raisons de ce revirement soudain sont à trouver dans l’article de l’hebdomadaire satirique. Sur son site, Charlie Hebdo dresse le portrait plus qu’inquiétant de cette école gérée par l’association Valeurs et réussite et dénonce le choix de la mairie de vendre aux dirigeants de l’école un terrain pour 500 000 euros. On y lit que les inspections menées par le rectorat dans cet établissement qui accueille 42 élèves ont pointé plusieurs problèmes. « L’enseignement dans l’école présente des lacunes, filles et garçons seraient séparés dans les classes, les tout-petits porteraient des tenues islamiques », écrit Charlie Hebdo, qui dit avoir consulté une photo publiée sur un site communautaire montrant « des petites filles voilées ». (...)
Après cette publication, la levée de boucliers est devenue générale. La préfète de la Drôme a fait obstacle au projet en formant un recours gracieux pour contester la légalité de la vente. (...)
C’est dans ce contexte que le maire LR a fait machine arrière et que les dirigeants de l’école ont pris la parole pour dénoncer une « discrimination ». Valeurs et réussite a aussi décidé de déposer plainte contre X et a saisi le Défenseur des droits. « C’est un projet qui est républicain, une école qui est ouverte à tout le monde, c’est une école où l’on ne fait pas de cours religieux. Il y a une discrimination évidente, avérée, et quand on la prouvera, on demandera à la préfète de la Drôme de démissionner », a justifié Mourad Jabri, président de Valeurs et réussite.
Le maire dénonce un article « totalement mensonger »
Interrogé par Mediapart, le maire LR de Valence, Nicolas Daragon, ne décolère pas. Il détaille d’emblée la chronologie des faits, qui prouverait, selon lui, qu’avant l’article de Charlie Hebdo, aucune alerte particulière n’existait sur cette école. (...)
Depuis dix ans, par ailleurs, tous les rapports de l’inspection ont pointé la conformité totale des enseignements dispensés avec les exigences de l’éducation nationale. » (...)
« C’est la première fois que cela m’arrive d’avoir un article dans lequel tout est faux. C’est hallucinant ». Nicolas Daragon, maire LR de Valence
(...) En réalité, les premières oppositions surgissent après la parution de Charlie Hebdo le 21 juillet. (...)
Officiellement, la préfète de la Drôme, Élodie Degiovanni, s’oppose au projet pour des raisons purement administratives. Lorsque l’école lui adresse un courrier pour démentir point par point les accusations de Charlie Hebdo et demander à être reçue à la préfecture, elle refuse tout rendez-vous mais confirme ne s’intéresser qu’à la légalité du dossier. (...)
Sauf que d’après un document que Mediapart s’est procuré, une lettre de la préfète de la Drôme envoyée le 27 juillet 2022 au maire de Valence dit tout autre chose. Elle explique en effet son souhait de ne pas voir de nouvelles « dynamiques d’enfermement communautaires » et ajoute : « Je vous confirme par ailleurs que l’association Valeurs et réussite porteuse du projet ainsi que les structures auxquelles elle est affiliée font l’objet de la plus grande attention de la part des services de l’État au nom de la lutte contre le séparatisme. » (...)
En décembre 2021, enfin, quatre inspecteurs se rendent dans l’école pour un nouveau contrôle inopiné. « Les programmes de l’Éducation nationale semblent être suivis, à l’aide des manuels scolaires usuels et les productions des élèves rendent compte des différents apprentissages dans tous les domaines, en matière de maîtrise de la langue française, relèvent-ils. Les cahiers contrôlés montrent un travail sérieux et régulier des élèves concernés depuis le début de l’année, rédigé dans un français bien maîtrisé pour des élèves de cet âge. [...] L’enseignement des fondamentaux semble être une préoccupation de l’école », concluent les inspecteurs.
Dans tous ces rapports qui s’étalent de 2015 à 2021, aucune inspection ne relève l’existence de cours religieux, de classes qui seraient non mixtes ou des filles portant le voile. Sur ce dernier point, justement, rien ne vient étayer les accusations de Charlie Hebdo. Le maire comme les responsables de l’école affirment que le voile y est même interdit depuis 2016. « Le voile des filles n’est pas accepté à l’école », peut-on d’ailleurs lire dans le règlement intérieur de l’école que nous avons pu consulter. (...)
Alors comment expliquer toutes ces erreurs publiées et jamais corrigées par Charlie Hebdo. Sollicitée par Mediapart, l’autrice de l’article explique que c’est son « informateur » qui lui a précisé que les rapports d’inspection pointaient différents problèmes. Et sur le voile que des petites filles porteraient ? « C’est vrai que le voile est interdit depuis 2016, c’est un élément que je n’avais pas quand j’ai publié l’article », se défend la journaliste.
À propos de l’imam en question qui a quitté la ville depuis cinq ans, elle reconnaît s’être appuyée sur la biographie de son site, qui le présente effectivement toujours comme imam de Valence. « J’ai donc pensé que c’était toujours le cas, ce que m’avait confirmé ma source », explique-t-elle. (...)
Contacté par Mediapart, le ministère de l’intérieur n’a pas souhaité répondre, nous demandant de nous tourner vers la préfecture. En attendant, Nabil Boudi, l’avocat de Valeurs et réussite, prévient qu’il va déposer une plainte en diffamation contre Charlie Hebdo, en même temps que d’autres recours pour tenter de revenir sur cette annulation. « Je veux savoir si ce revirement de situation est la décision de la préfète ou du ministère de l’intérieur », explique l’avocat.
Alors qu’aucune autorité ne souhaite produire le moindre élément factuel pour étayer les accusations qui pèsent sur cette école, les conséquences sur cet établissement sont déjà importantes. En plus de l’annulation de cette délibération, plusieurs associations qui travaillaient avec l’établissement disent devoir désormais renoncer à toute collaboration, par crainte de perdre des subventions. (...)