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Le Monde Diplomatique
Une gauche assise à la droite du peuple
Article mis en ligne le 26 octobre 2015
dernière modification le 22 octobre 2015

L’ancrage du Front national et le discrédit des partis de gouvernement redessinent la carte des idées politiques. Les acteurs de ce grand chambardement se réclament tous des couches populaires. Mais ils escamotent volontiers les antagonismes entre classes sociales au profit d’approches plus immédiatement accessibles à des masses supposées dépolitisées : France périphérique contre bobos des métropoles, peuple contre élite.

Une gauche assise à la droite du peuple

C’est un jeu de chaises musicales dans lequel les partis politiques s’agitent autour d’un petit nombre d’idées : multiculturalisme, inégalités territoriales, séparatisme ethnique, peuple et caste, valeurs et cultures. Quand la mélodie s’arrête, le paysage est méconnaissable. « La gauche a déjà trahi Jaurès en oubliant les classes populaires », observe M. Geoffroy Didier, animateur d’un courant de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) baptisé Droite forte. « Si la droite continue à ignorer Jeanne d’Arc, il ne faut pas s’étonner que le Front national prenne le pouvoir. » Et il conclut : « La question de l’identité sera au cœur du débat en 2017 » (Le Figaro, 12 février 2015).

Il ne sera pas nécessaire d’attendre jusque-là. Tête pensante au Parti socialiste, le politologue Laurent Bouvet exhorte déjà ses camarades à placer au centre de leur réflexion le thème de son dernier livre (1), « l’insécurité culturelle », cette angoisse qui tarauderait à la fois les « petits Blancs » hostiles à l’islam et les musulmans opposés au « mariage pour tous ». Pendant ce temps, Mme Sophie Montel, candidate du Front national dans la quatrième circonscription du Doubs, revendique à la fois Jaurès et Jeanne d’Arc : « On nous a dit que Peugeot allait bientôt produire la C3 en Slovaquie. Il faut fermer toutes les frontières, produire français avec des Français. C’est juste le grand patronat qui ne veut pas parce que ses intérêts sont ailleurs » (Le Figaro, 6 février 2015).

Au cœur de la mêlée tourbillonne le slogan commun du « retour au peuple ». Mais lequel, et pour quoi faire ? S’il fallait ramasser en une phrase le rapport qu’entretiennent les partis de gouvernement avec les classes populaires depuis le début des années 1990, ce pourrait être celle-ci : pourvu qu’elles se taisent, on parlera en leur nom. (...)
les taux de participation élevés des ouvriers, employés, chômeurs et faiblement diplômés lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005, combinés au discrédit des institutions, ont montré les risques de l’attentisme. Si à la défection populaire succédait soudain la prise de parole, s’ouvrirait pour les classes dirigeantes une période d’instabilité. Comment endiguer ce fleuve sujet aux crues dans le lit douillet des alternances chères à M. Devedjian ?

M. Nicolas Sarkozy proposa une réponse au cours de la campagne présidentielle de 2007. Sa stratégie juxtapose alors deux discours, deux registres, deux cibles : d’un côté, un programme conforme aux intérêts des classes dirigeantes, insistant sur les efforts et les sacrifices auxquels devraient consentir les salariés pour parachever l’adaptation du modèle français aux « contraintes internationales ». De l’autre, une rhétorique centrée sur le volontarisme politique et les valeurs de travail, d’authenticité populaire (par opposition aux élites), de sécurité, de protection, d’identité, destinée à séduire des travailleurs prétendument exaspérés par la « pensée 1968 » (4). Avec pour slogan « L’ordre juste », Mme Ségolène Royal, la candidate socialiste, décline un schéma analogue mais sur un mode mineur.

Cette cohabitation d’un appel aux intérêts (des couches sociales aisées) et d’un rappel des valeurs (des dépossédés) charpentait déjà la campagne de M. George W. Bush en 2004. Elle fut, dans un cas comme dans l’autre, couronnée de succès. Non seulement des pauvres votaient à nouveau, mais ils votaient pour le candidat des riches ! (...)