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Une législation contre - ou pour ? - la concentration des médias
Article mis en ligne le 7 août 2019
dernière modification le 6 août 2019

Contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, les quelques milliardaires qui accaparent les moyens d’information de masse n’agissent pas tout à fait à leur fantaisie : la concentration des médias est réglementée, et cette réglementation est généralement respectée. Elle date de la « loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication », dite loi Léotard, inchangée pour l’essentiel depuis 33 ans, à part quelques nécessaires actualisations.

Au vu du paysage actuel des médias, il est toutefois permis de douter de l’efficacité de cette loi contre les concentrations ! On serait même tenté de penser qu’elle les a plutôt permises qu’empêchées. Le simple fait qu’elle n’ait pas été révisée (ou si peu) pendant 33 ans interroge, tant le secteur des médias a été bouleversé depuis son adoption. (...)

En 1986, les ondes radiophoniques viennent d’être libéralisées, les chaines de télévision privatisées. Après les longues années du monopole d’État sur l’audiovisuel, le pluralisme est la nouvelle règle. La loi Léotard a pour objectif de le faire respecter en réglementant les concentrations capitalistiques et territoriales, dans l’idée, notamment, d’empêcher la constitution d’empires du type Hersant (nous y reviendrons). Elle ne concerne pas tous les médias, mais uniquement les médias privés. Les trois grands secteurs classiques des médias (presse, radio, télévision) font chacun l’objet de dispositions qui limitent en leur sein les possibilités de concentration. D’autres dispositions visent à limiter les acquisitions dans plusieurs types de média à la fois.

Presse papier : les magazines en roue libre (...)

Entre 1944 et 1986, la concentration de la presse a été régie par l’ordonnance du 26 août 1944, qui interdisait notamment à une personne d’être propriétaire de plus d’un journal quotidien ou périodique au-delà d’un certain tirage : 10 000 exemplaires pour un quotidien, 50 000 pour un périodique. Une telle règle constituait une véritable protection contre les concentrations. Elle n’eut qu’un défaut, mais non des moindres : elle ne fut pas appliquée. En témoigne le cas de « l’empire » Hersant qui possédait 40 % de la presse quotidienne nationale et 20 % de la régionale en 1986.

La loi Léotard est immensément plus souple puisqu’elle dispose qu’un propriétaire ne peut posséder des journaux couvrant plus de 30 % de la diffusion de la presse quotidienne d’information politique et générale (presses nationale et régionale confondues). L’idée était d’empêcher, au nom du pluralisme, la constitution de mastodontes comme le groupe Hersant.

À l’époque, ce dernier, le seul à dépasser ce taux, ne fut pas concerné faute de rétroactivité de la loi. De nos jours, aucun groupe de presse n’approche, même de loin, cette limite à la concentration. (...)

Rien n’interdit à un seul propriétaire de posséder nombre de magazines. Ce qui a permis à Hachette-Lagardère de régner en maître pendant des années sur ce petit monde très profitable (plus de 40 titres en France, 260 dans le monde) avant de s’en débarrasser quand ils ont été atteints à leur tour par la crise de la presse papier. (...)

On peut se demander, comme le fit le Rapport Lancelot (2005) pourquoi les magazines d’information politique et générale, dont le lectorat est souvent supérieur en nombre à celui des quotidiens, sont dispensés de toute limite de concentration et même les magazines en général (...)

Mais peut-être les Hachette, Berlusconi et autre Bertelsmann, ont-ils eu quelque influence sur le législateur.

On notera que le domaine de l’édition des livres, où figurent en premières places Hachette et, depuis peu Bolloré (Vivendi), est également exempt d’une législation spécifique en matière de concentration. (...)

Avec la loi de 1986, les concentrations deviennent légales et se réalisent sans problème en-deçà de la limite des 30%. Par ces temps de crise de la presse écrite, personne ne songe à jouer les Hersant, mais la presse régionale se résume de plus en plus à quelques grands groupes et l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, possède le seul quotidien économique, Les Échos, et un grand journal national et régional populaire, Le Parisien - Aujourd’hui en France.

Radio : on se concentre

Pour ce qui est de la radio, la loi de 1986 exige que le cumul des zones desservies par les stations radio d’un même propriétaire ne dépasse pas 150 millions d’auditeurs, et pas plus de 20% de l’audience potentielle cumulée de toutes les autres radios. Aujourd’hui, aucun groupe radiophonique ne dépasse ces limites. (...)

En 2013, le CSA a changé son mode de calcul du nombre d’auditeurs desservis dans un sens favorable aux grands groupes, leur permettant de s’étendre encore. Le Conseil d’État, saisi par le Syndicat des radios indépendantes, a confirmé la décision du CSA en 2016. (...)

Ce qui fait du monde radiophonique, malgré la multiplicité des acteurs, un domaine où la concentration de l’audience en quelques mains (Lagardère, Drahi, Bertelsmann, Baudecroux) est très forte. Phénomène qui n’est pas contrarié par le rôle décisif du CSA, organe très politique [1], dans l’attribution des fréquences.

Télévision : toujours les mêmes (...)

Limitation de parts de capital : une personne ne peut posséder plus de 49% du capital (auparavant, 25 %) ou des droits de vote d’un service de télévision dont l’audience est supérieure à 8% du total (précédemment 2,5 %). Sont seules concernées les chaînes TF1 (22,5 % de parts d’audience) et M6 (15 %). La règle est respectée à ce jour, puisque Bouygues possède 43,8 % de TF1 et Bertelsmann, 48,6 % de M6. L’idée de cette « restriction » à la concentration était de favoriser le pluralisme interne, c’est-à-dire que la pluralité des actionnaires était sensée faire contrepoids aux décisions de l’actionnaire dominant. Mais il est permis de douter qu’avec ses 43,8 %, Bouygues ait eu besoin de consulter les autres actionnaires pour prendre ses décisions.

 Limites tenant aux autorisations : une personne physique ou morale ne peut disposer que d’une seule autorisation pour un service national analogique (anciennement), et pas plus de 7 autorisations (antérieurement 5) pour un service national numérique (TNT). (...)

Encore une fois, on observe que les règles anti-concentration ont été assouplies au fil du temps au bénéfice des groupes les plus importants.

Limites de concentrations pluri-médias (...)

Pour une véritable limitation des concentrations

Au fil du temps, on ne peut que constater que les limitations à la concentration des médias sont de plus en plus faibles. La défense du pluralisme par le CSA semble une défense de la pluralité des milliardaires et de leur équitable répartition dans les différents médias. Et ces limitations sont circonscrites, dans leur ensemble, à la configuration classique des médias telle qu’elle existait en 1986. Certes, la TNT a été règlementée, mais quid d’Internet ? Alors que les journaux, les radios et les télévisions disposent tous et toutes d’une version numérique, dont l’audience est souvent bien supérieure à celle de la version papier, alors que se sont développés nombre de journaux en ligne « pure players », de webtélés, et de webradios, ainsi que des modes de diffusion autres que la TNT (câble, satellite, adsl, fibre, téléphonie mobile et télévision mobile), qui sont très peu réglementés ; alors qu’une partie de plus en plus considérable de la société civile s’alarme de l’accaparement des médias par un gang de milliardaires, le pouvoir politique ne semble se préoccuper que de limiter la liberté de la presse (loi sur le secret des affaires, sur les fausses nouvelles). Or c’est bien dans le monde des nouvelles technologies que se jouent, hors de toute réglementation, les recompositions capitalistiques. (...)

Cette législation ignore que les groupes actuels ne cherchent pas à acquérir le plus de médias possible, comme ce fut le cas de Hersant ou de Murdoch. Les Bolloré, Drahi, Bouygues, Arnault, sont, d’une certaine manière, pires. Ils ne s’intéressent pas aux médias en tant que tels, le cœur de leur activité économique est ailleurs, dans le béton, les télécommunications, le transport, le luxe, etc. Le moment symptomatique de cette « déprofessionnalisation » de la propriété des médias fut sans doute celui de la vente de la Socpresse par le « papivore » Hersant à « l’avionneur » Dassault.

Pour les entrepreneurs actuels, les médias qu’ils possèdent peuvent parfois être une source de profits, souvent un moyen d’influence, voire un pôle de communication ou de valorisation de leurs autres activités. (...)

L’ordonnance de 1944 (...) interdisait à un propriétaire de journal d’exercer une autre activité économique. Associée à l’interdiction de posséder plus d’un journal, cette disposition, simple et claire, était une véritable mesure anti-concentration entendue comme l’accaparement des médias par un petit groupe de gros capitalistes. Il serait temps de la mettre en pratique.