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Mediapart
Une livraison d’uranium russe repérée à Dunkerque malgré la guerre en Ukraine
#uranium
Article mis en ligne le 1er décembre 2022
dernière modification le 30 novembre 2022

Mediapart a assisté mardi, sur le port du Nord, au déchargement de dizaines de conteneurs et de fûts de substances radioactives en provenance de Russie. C’est la première fois depuis février 2022 qu’une cargaison d’uranium naturel russe est photographiée en France. 

Mardi matin 29 novembre à l’aube, à 5 h 30 exactement, alors que le port de Dunkerque se tapit encore dans l’obscurité et le froid, un bateau baptisé le Mikhail Dudin jette l’ancre. En provenance de Saint-Pétersbourg, en Russie, il transporte une cargaison très discrète et particulièrement sensible : des conteneurs et des fûts de substances radioactives. (...)

Déchargés à l’aide d’une grue, dix boîtes métalliques et vingt-sept fûts sont rapidement transportés à bord d’un train. Dans les conteneurs aux parois colorées de bleu, turquoise, vert et rouge, se trouve de l’uranium naturel, non enrichi, une version concentrée du minerai radioactif, également appelé « Yellowcake », le « gâteau jaune », analyse Greenpeace, à partir des informations visibles sur le chargement : des numéros de série qui correspondent à des produits spécifiques sur le marché du nucléaire et des messages en russe, prévenant de ne pas incliner les bidons.

C’est la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine qu’un chargement d’uranium naturel en provenance de Russie est observé et photographié en France.

Ce n’est pas la seule marchandise livrée au petit matin à Dunkerque : les dizaines de fûts déplacés par paquets de quatre bidons renferment, eux, de l’uranium enrichi en Russie - de l’UF6 hexafluorure d’uranium — précise Pauline Boyer, chargée de campagne Énergie pour Greenpeace et présente sur les lieux mardi matin. (...)

La Russie a été placée sous sanctions commerciales par l’Union européenne, mais le secteur nucléaire en a été exclu. Cette livraison n’est donc pas illégale. Mais elle soulève de graves questions éthiques : est-il acceptable de continuer le commerce nucléaire avec la Russie, alors qu’elle mène une guerre sanglante en Ukraine ? (...)

À qui appartient ce chargement ? Le suspense a duré plusieurs heures, et c’est l’AFP qui a dévoilé le mystère mardi soir : c’est Framatome, filiale à 75,5 % d’EDF et spécialisée notamment dans la fabrication de combustibles, qui sera le destinataire final de la commande. Le constructeur a confirmé à Mediapart mardi matin qu’il s’agissait d’une « livraison de matière pour la fabrication de combustibles nucléaires » à destination de son usine de Romans-sur-Isère (Drôme). Ces produits seront ensuite destinés à ses clients, « et notamment le parc nucléaire français ». (...)

Plus tôt dans la journée, EDF avait botté en touche en invitant Mediapart à « contacter le service de presse de Framatome ». Mais ce dernier n’avait pas répondu à nos questions à l’heure de boucler cet article, mardi soir. L’exploitant des centrales nucléaires françaises avait, en revanche, pris le temps d’assurer « suivre avec attention la situation en Ukraine et ses conséquences sur les marchés de l’énergie » (...)

Selon Greenpeace, la destination de ces cargaisons pourrait être le site d’Orano à Pierrelatte, dans la Drôme, spécialisé dans le retraitement de matières radioactives liées à la fabrication de combustibles. Ou Lingen, en Allemagne, le site où Framatome, la filiale d’EDF, fabrique des crayons et des assemblages de combustibles nucléaires, dont une partie est utilisée dans les centrales nucléaires françaises. 
 
Le gouvernement a récemment ordonné à Orano et EDF d’arrêter l’exportation d’uranium de retraitement vers la Russie, lors d’une réunion de l’Association des commissions locales d’information sur le nucléaire (ANCCLI), selon Greenpeace, qui interrogeait l’électricien à ce sujet. Sollicité par Mediapart au sujet de la livraison de mardi matin à Dunkerque, le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition écologique, n’a pas répondu à nos questions.